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commune de parti libéral, et par lesquelles lord Palmerston et lord John Russell espéraient se faire porter au pouvoir. Dans la conduite de cette discussion, le leader du ministère dans la chambre des communes, M. Disraeli, a fait preuve d’une singulière habileté de tactique. Un seul membre du gouvernement, le soliciter géneral, sir Hugh Cairns, prit la parole, et réfuta avec une grande verve et une rare vigueur de dialectique le discours de M. Cardwell. Après sir Hugh Cairns aucun membre du gouvernement ne prit part à la discussion. M. Disraeli, contenant ses amis sur leurs bancs, abandonna la défense du ministère contre les attaques des whigs et des palmerstoniens aux peelites, aux radicaux et aux indépendans. M. Bright, un des plus grands orateurs de l’Angleterre contemporaine, M. Roebuck, sir Robert Peel, sir James Graham, vinrent l’un après l’autre battre l’opposition. Ce fut sir James Graham qui porta le coup décisif en venant annoncer que lord Aberdeen, après la retraite de lord Ellenborough, avait jugé que l’honneur de lord Canning était satisfait, et que la lutte, poussée plus loin, dégénérait en combat de faction. À mesure que le débat se prolongeait, l’opinion publique se prononçait de jour en jour plus vivement contre l’opposition, et la foule qui stationnait devant la chambre a salué de ses applaudissemens M. Disraeli lorsqu’après la dernière séance il montait en voiture pour rentrer chez lui.

Ce dénoûment consolide du moins jusqu’à l’année prochaine le cabinet de lord Derby et de M. Disraeli ; mais ce n’est point le résultat le plus intéressant de cette grande lutte parlementaire. L’influence qu’elle doit avoir sur la reconstitution des partis réguliers en Angleterre est à nos yeux un fait plus considérable. Il est manifeste que le grand parti libéral anglais, qui vient d’étaler ses divisions, profitera des leçons que se sont mutuellement données les principaux de ses membres. L’aristocratie whig, qui a la prétention de diriger ce parti, comprendra sans doute qu’elle doit se retremper dans les élémens avancée de la chambre des communes, au sein de ces libéraux indépendans qui comptent parmi eux des hommes aussi puissans par le talent et aussi vigoureux par le caractère que M. Bright et ses amis. Si les peelites allaient rejoindre le parti conservateur progressiste, si les whigs, brisant leurs liens d’étroite coterie, s’assimilaient les libéraux avancés, l’Angleterre pourrait encore et prochainement donner au monde le spectacle et l’exemple de deux grands partis, émules plutôt que rivaux, se relayant au pouvoir et dans l’opposition, et travaillant à l’envi aux progrès de leur pays et de la civilisation par la conservation des institutions libres, chaque jour améliorées par des réformes efficaces.

Tandis que ces dramatiques agitations remuaient la société politique, un nouveau deuil venait frapper, dans l’asile que lui donne l’hospitalière Angleterre, la famille d’Orléans. La mort, si cruelle dans ses surprises, éteignait une des âmes les plus pures, un des plus hauts caractères de notre époque. L’estime universelle avait accompagné Mme la duchesse d’Orléans durant son existence ; les regrets unanimes la suivent dans sa fin prématurée. Bien des causes étouffent en ce moment la voix de ceux qui ont pu apprécier l’intelligence et le cœur de la duchesse Hélène ; comment mesurer l’étendue de la perte qu’ils ont faite au bord de cette tombe si soudainement ouverte ? Qu’on