Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/680

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rupture avec Mirabeau, Mme de Monnier se lia d’abord avec un officier de maréchaussée, homme très brutal, qui la battait ; qu’elle s’attacha ensuite à un officier de cavalerie, beaucoup mieux élevé, qui ne la battait point, mais qui était atteint d’une affection de poitrine, et qu’elle perdit au moment où elle espérait le décider à légitimer leurs rapports par un mariage. C’est sous l’impression de cette perte que Mme de Monnier, qui avait alors trente-six ans, et qui était définitivement séparée de Mirabeau depuis neuf ans, se résolut au suicide et s’asphyxia.

Le motif qui poussa Sophie à cet acte de désespoir est donc étranger à Mirabeau ; mais quoique sa responsabilité morale en soit diminuée, elle subsiste néanmoins, puisque ce fut lui qui le premier entraîna Mme de Monnier hors du droit chemin. Dans son pieux désir de défendre autant que possible la mémoire de son père adoptif, M. Lucas de Montigny s’attache à démontrer que, quand même Mirabeau n’eût jamais rencontré Sophie, le mariage immoral que les parens de celle-ci lui avaient fait contracter avec un septuagénaire morose, avare et jaloux, et l’extrême sensibilité de son organisation l’auraient fatalement conduite au désordre. À l’appui de sa thèse M. Lucas de Montigny possédait des documens dont sa délicatesse l’a empêché de se servir. Il avait dans les mains un grand nombre de lettres de Mme de Monnier à Mirabeau, dont il n’a cité que les passages les plus favorables à celle-ci, ne voulant pas que la défense de l’un fût présentée aux dépens de l’autre. Aujourd’hui que l’estimable biographe de Mirabeau n’est plus, je puis dire avec plus de précision ce qu’il m’avait permis seulement d’indiquer de son vivant : c’est que dans leur ensemble les lettres de Mme de Monnier, que j’ai lues, donnent d’elle une assez pauvre idée, et portent à croire que l’imagination du prisonnier de Vincennes a beaucoup poétisé le caractère de Sophie[1]. Le ton licencieux qui choque de temps en temps dans les lettres, d’ailleurs si remarquables, de Mirabeau est souvent dépassé dans les réponses de Mme de Monnier, où se trouvent de véritables obscénités écrites d’un style vulgaire et plat. Un esprit court, une certaine force de volonté, mais peu d’élévation dans les idées et un tempérament très ardent, voilà ce qui nous a paru dominer dans les lettres de Sophie, et voilà ce qui peut

  1. C’est ce que M. Lucas de Montigny est obligé de reconnaître lui-même, lorsque, s’expliquant sur ce point avec sa réserve ordinaire, il avoue « que, quoi qu’en ait dit Mirabeau dans la bonne foi de sa passion, les lettres de Sophie ne présentent le plus souvent qu’un médiocre intérêt, quand elles ne sont pas élevées par un sentiment très énergique. » T. II, p. 277.