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entendre à voix basse qu’il n’a ni haine, ni colère, et que ses critiques ne sont pas des représailles.

Il entra toujours autant d’étourderie que de méchanceté dans les reproches dont Gustave Planche fut accablé. Ainsi on l’a accusé d’avoir brûlé ce qu’il avait adoré, d’avoir trahi ceux qu’il avait d’abord flattés, — en termes plus clairs, d’avoir réagi contre l’école romantique après avoir combattu dans ses rangs. Rien n’est plus léger, plus étourdi que ce reproche. Planche n’a jamais, à proprement parler, appartenu à l’école romantique : il l’a servie et soutenue tant qu’il a cru que les intérêts généraux de l’art pouvaient être compromis dans sa chute ; mais il n’a pas pris part à ses luttes à outrance, il n’a poussé aucun bélier contre la citadelle des classiques, il n’a ouvert aucune tranchée, n’a participé à aucun assaut. Dans les luttes littéraires du romantisme, il a joué le rôle d’un spectateur actif qui juge à haute voix le combat sans participer à la mêlée, ou bien encore, — si l’on veut à toute force qu’il ait pris part au combat, — le rôle presque passif du chœur dans la tragédie grecque. Il s’était chargé de réprimander le vice, d’encourager la vertu, et de tirer la moralité de la pièce qu’on représentait sous les yeux du public. Planche ne croyait pas aux écoles poétiques, ou plutôt il considérait l’art comme supérieur à toutes les écoles, et comme devant être jugé par conséquent selon un critérium plus large que le critérium exclusif de telle ou telle école. Juger un poème ou une œuvre d’art d’après les formules d’une secte ou d’une coterie lui semblait justement le moyen de juger avec une partialité involontaire sans doute, mais non moins funeste que la mauvaise foi. En un mot, Gustave Planche était, en matière de critique, ce que les églises protestantes appellent un indépendant ; il n’admettait aucune autorité et ne croyait qu’au jugement privé. Il avait peu de goût pour les systèmes, regardait comme inutiles les poétiques et les préfaces dogmatiques, fort à la mode en 1830, et ne s’en cachait pas. Ce sentiment se révèle à diverses reprises dans les articles qu’il écrivit alors qu’on pouvait le compter parmi les défenseurs du romantisme, notamment dans les articles sur M. de Vigny et M. Mérimée. Citons un fragment entre dix autres : « Malgré la prodigieuse dépense d’esprit grâce à laquelle les athénées littéraires de la restauration ont su pendant dix ans occuper leur auditoire, j’ai quelque raison de croire que ces éternelles dissertations sur le goût et le génie, sur Boileau et Shakspeare, sur le moyen âge et l’antiquité, sur la génération logique et la génération historique des formes poétiques, ont porté à l’art plus de dommage que de profit. Si la régénération du théâtre est prochaine, je pense que le plus sûr moyen de la hâter n’est pas de savoir si Sophocle procède