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tout le résultat d’un vice de nature, elles étaient le résultat artificiel de la vie qu’il avait subie. Elles étaient nées visiblement des ennuis qui l’avaient assailli, des privations qu’il avait souffertes, des découragemens qu’il avait éprouvés. Les reproches de ses ennemis étaient donc aussi sots qu’ils étaient lâches, car ils s’adressaient non à des défauts naturels, mais aux mésaventures de l’homme, à sa mauvaise fortune, aux rigueurs de sa destinée. Ces mêmes ennemis croyaient peut-être qu’en lui reprochant les négligences de son costume, ils commettaient une plaisanterie méchante, mais après tout pardonnable : ils se trompaient, et ils étaient beaucoup plus coupables qu’ils ne le pensaient ; en réalité, ils lui faisaient un crime d’avoir été malheureux.

Eh ! triples pharisiens, ne savez-vous pas combien est glissante la pente qui conduit aux habitudes fatales ? Ignorez-vous que la plupart du temps elles sont le fruit, non de dispositions naturelles, mais d’accidens extérieurs sous lesquels succombe la volonté ? C’est sans doute un défaut que de ne pas savoir résister à l’habitude, et même j’accorderai que c’est souvent un grand péché ; cependant il arrive fréquemment que ce sont les caractères les plus énergiques qui succombent avec le plus de facilité. Les caractères légers et frivoles échappent aisément, ils n’engagent pas une lutte qu’ils n’auraient pas la force de soutenir ; ils n’ont ni assez de confiance individuelle, ni assez de fierté pour ne chercher qu’en eux leurs moyens de consolation et de résistance ; ils s’abandonnent gaiement aux distractions qui se présentent, et sont préservés contre les blessures par leur nature sèche et stérile. Mais de même que la maladie fait ses plus grands ravages chez les organisations robustes, le malheur s’attaque de préférence aux caractères énergiques et vigoureux. Comme ces caractères prennent tout au sérieux, ils ressentent plus vivement toutes les souffrances, et les blessures qui leur sont faites ne se ferment jamais. Comme ils sont fiers et résolus, ils regardent en face le malheur et ne cherchent de protection qu’en eux-mêmes ; seulement la lutte est trop inégale, et tôt ou tard la volonté doit succomber. D’ailleurs, quoi qu’on puisse penser de l’égoïsme humain et de l’instinct de conservation, il est très rare que l’homme résiste longtemps, lorsqu’il n’y a d’engagés dans la lutte que sa destinée personnelle, son bonheur et son avenir ; il fait au contraire assez vite bon marché de lui-même, et trouve dans l’obéissance à la fatalité une sorte de paix et de bonheur inerte. La volonté n’a toute sa force que lorsqu’elle lutte au profit d’intérêts chéris et poursuit un but de dévouement. Or le grand malheur de beaucoup d’artistes et de gens de lettres consiste précisément en ceci, que leur personne seule est intéressée dans les combats de la vie.