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à en recevoir les sacremens, afin qu’on les laisse vivre en paix. Cette dévotion officielle ne trompe personne, bien que les prêtres n’en portent pas moins tous les faux fidèles sur la liste de leurs paroissiens. Les employés qui furent chargés d’inspecter les vieux croyans en 1852 se montrèrent naturellement plus exigeans que les commissaires chargés de la première enquête ; ils examinèrent avec soin les registres sur lesquels sont inscrits les actes religieux accomplis annuellement par les habitans de chaque paroisse, et parmi les fidèles dont ils recueillirent ainsi les noms, ils établirent plusieurs classes. Les remarques qui accompagnent ces tableaux sont des plus instructives ; elles mettent en lumière toutes les conséquences de la contrainte qui avait été imposée aux vieux croyans. Ainsi des mourans, après avoir reçu la communion d’un prêtre orthodoxe, crachent secrètement le pain consacré ; de jeunes paysans, en quittant la sainte table, courent au cabaret et plaisantent sur la cérémonie qu’ils viennent d’accomplir. Les faits de ce genre se reproduisent presque à chaque page. Le système d’intimidation adopté à l’égard des vieux croyans ne pouvait avoir et n’a eu d’autre résultat que d’entretenir dans leurs rangs une exaltation farouche et d’y rendre obligatoire la profanation des sacremens.

Le clergé orthodoxe aurait un moyen bien simple de ramener à lui les vieux croyans, ou du moins de mettre un terme à des actes d’opposition violente. Au lieu de continuer à pousser le gouvernement à les poursuivre, ne peut-il se réformer lui-même ? Lorsque les chefs de l’église orthodoxe ne se signaleront plus par leur intolérance, lorsque les membres du bas clergé seront plus éclairés et auront des mœurs plus régulières, il est probable que beaucoup de vieux croyans rentreront peu à peu dans le sein de l’église. L’inutilité de toute autre tentative de conciliation a été démontrée par les efforts, complétement stériles jusqu’à ce jour, du gouvernement pour faire accepter un moyen-terme. On voulait forcer les starovères à recevoir dans leurs temples et dans leurs couvens des prêtres sacrés par les évêques orthodoxes, mais qui étaient autorisés à officier suivant le vieux rite. Ce culte bâtard, nommé iédinovérié (foi semblable), devait purger la Russie des vieux croyans[1]. Les rapports adressés au ministre de l’intérieur en 1852 s’accordent tous à reconnaître qu’on s’était bercé d’une étrange illusion. Les églises consacrées à ce culte ne sont fréquentées que par les vieux croyans qui ne peuvent s’en dispenser. Ceux d’entre eux qui habitent les villages écartés ne mettent pas les pieds dans les temples orthodoxes, et quelquefois même ils cherchent à les détruire. Des paysans avaient été forcés de

  1. La création de l’iédinoverié remonte à la fin du siècle dernier. C’est à Staradoub, un des centres du schisme dans la Russie méridionale, que ce culte fut inauguré.