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naître qu’on n’a pas eu le temps de les enlever. Un homme à la tenue cléricale se promène dans la chambre, et des chuchotemens, qui viennent de la ruelle du lit, indiquent la présence de quelques autres personnes. Cet homme est ivre, et une scène assez curieuse se passe entre lui et la maîtresse de la maison, qui est visiblement inquiète ; elle semble craindre les indiscrétions de l’ivrogne. Celui-ci laisse bien échapper quelques propos singuliers ; le mot d’archevêque revient souvent au milieu des exclamations qu’il pousse. Cependant il finit par s’éloigner sans que l’employé ait pu deviner le sens de ces paroles. Resté seul avec son hôtesse, Mark cherche vainement à lui arracher une confidence à ce sujet ; elle se borne à lui apprendre que cet homme est un prêtre révoqué de ses fonctions, connu de toute la ville pour son inconduite, et la conversation prend un autre cours. L’employé donne à entendre assez adroitement à Marfa Kousmovna que le seul but de sa mission est de recueillir quelques renseignemens sur l’état des vieux croyans dans cette localité ; puis il lui assigne un rendez-vous dans la soirée du lendemain, et regagne la maison de poste.

À peine rentré, il reçoit la visite de l’ispravnik. Cet homme vient lui apprendre, dans le langage cynique particulier aux gens de sa profession, que, pour faciliter son rôle d’inquisiteur, il a suborné une complice de Marfa nommée Magdalina. Une réunion de sectaires a eu lieu chez cette femme pendant la nuit, et l’ispravnik a pu entendre les discours des vieux croyans, caché derrière un four. Un marchand de Moscou, Mikaïl Trofimitch, et Marfa Kousmovna assistaient à la réunion avec le prêtre ivrogne, nommé Mikéïtch. Or le nom du marchand de Moscou est précisément celui d’un homme de cette classe impliqué dans l’affaire criminelle qui a nécessité l’enquête à laquelle procède l’employé. Des propos tenus dans ce conciliabule nocturne, il ressort que Mikéïtch, le prêtre interdit, s’est décidé à passer au schisme moyennant cent cinquante roubles payés en deux termes et de l’eau-de-vie à discrétion pendant quinze jours. Quant au marchand, qui paraît être une ancienne connaissance des deux femmes, il venait pour s’entendre avec elles relativement à l’arrivée prochaine d’un archevêque de la secte, impatiemment attendu, et qui doit sacrer Mikéïtch, ainsi que plusieurs autres prêtres. Après avoir échangé leurs informations, l’ispravnik et l’employé s’entendent pour agir de concert. C’est le lendemain soir qu’aura lieu l’interrogatoire de Marfa ; c’est à ce moment qu’il faut mettre la main sur ses complices. À l’heure indiquée, Mark se rend dans une chambre reculée de la maison de poste, où on doit lui amener la vieille sectaire. Cependant un incident imprévu l’inquiète : l’homme qui doit assister à cet interrogatoire en qualité de