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que l’invasion tartare avait interrompu les relations entre le clergé russe et Byzance. Le second visait à faire du patriarcat, par une organisation plus forte de la discipline cléricale, une autorité prépondérante tant dans l’ordre temporel que dans le domaine des consciences. La hauteur avec laquelle Nikon essaya de démontrer l’utilité de ses réformes, la méfiance qu’il inspirait à cause de ses relations avec les membres les plus savans du clergé ukrainien, qui semblaient tendre à se rapprocher du catholicisme, expliquent suffisamment l’indignation que son audacieuse entreprise excita dans le pays. C’est vainement qu’il en appela à deux conciles et au patriarche de Constantinople, la sanction des conciles et du patriarche ne put ni convaincre ses adversaires, ni calmer leur irritation. Non-seulement une foule de laïques, mais un grand nombre de prêtres et même l’évêque de Kolomna se rangèrent parmi les dissidens.

C’est alors que les mécontens prirent le nom de starovères, ou vieux croyans ; ils n’adoptèrent aucun des changemens que Nikon introduisit dans le culte et dans les livres saints. La lutte ne tarda pas à prendre un caractère formidable. Le farouche Stenko Razine, qui, comme presque tous les Cosaques, tenait pour l’ancienne foi, souleva les provinces que Pougatchef devait un siècle après mettre à feu et à sang. Une de ces bandes s’étant emparée du célèbre couvent de Solovetz, situé dans une île de la Mer-Blanche, les vieux croyans de ces contrées s’y établirent. Bientôt la princesse Sophie, régente de l’état, eut l’imprudence d’associer secrètement les non-conformistes à ses projets ambitieux. Forts de cet appui, ils accoururent du fond de leur retraite et, se mêlant aux strélitz, troupe bourgeoise de la capitale, fanatisèrent la populace ; des scènes de meurtre et de pillage épouvantèrent les habitans de Moscou. Le calme ne fut entièrement rétabli que lorsque le chef politique des mécontens, le prince Kovanski, et les plus compromis de ses coreligionnaires eurent payé de leur vie les désordres qu’ils avaient suscités. Ces exécutions frappèrent d’effroi la plupart des vieux croyans qui se trouvaient à Moscou, et les décidèrent à la fuite. À partir de ce moment, les persécutions se succédèrent ; mais l’esprit d’hérésie n’en devint que plus violent. Le règne de Pierre Ier contribua singulièrement à redoubler l’antipathie que le tsarisme inspirait aux starovères. Ce souverain s’étant emparé du pouvoir spirituel, les vieux croyans reportèrent naturellement sur lui les griefs qu’ils avaient contre son prédécesseur. D’ailleurs le règlement impitoyable auquel Pierre Ier les soumit rappelle, à la nature des châtimens près, les édits que les empereurs romains publiaient à l’époque des persécutions contre les chrétiens.

Les vieux croyans n’eurent pas seulement à lutter contre l’église orthodoxe ; la division se mit dans leurs rangs. Un point de con-