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des sénateurs (sovielniks) ou des périaniks pour juges. Dans quelques districts même, les Turcs eurent recours au prince en personne pour qu’il obtînt de leurs sujets chrétiens qu’ils payassent l’impôt.

En octobre 4854, le colonel russe Kovalevski, déjà connu par des missions importantes, et notamment par deux voyages précédens au Monténégro, l’un sous le vladika défunt, l’autre au commencement du règne de Danilo, vint à Cétinié. Il avait pour mission, en présence de la guerre qui venait d’éclater à la suite de l’ambassade du prince Mentchikof à Constantinople, d’engager le prince à se mettre à la tête d’un soulèvement général des chrétiens de l’Herzégovine et de la Bosnie. La défaveur qui s’attachait alors en Europe aux insurrections intempestives de l’Épire et de la Grèce, l’intervention annoncée de l’Autriche dans les provinces roumaines, la crainte de voir une intervention semblable s’opérer dans les provinces slaves, décidèrent le prince Danilo à se renfermer dans les bornes d’une stricte neutralité.

C’est du commencement de l’année 1855 que datent les premières relations du prince avec la France. Un vice-consulat français venait d’être créé à Scutari. M. Hecquard ne pouvait voir avec indifférence les tchétas monténégrines en Albanie, les vengeances des Albanais sur les Monténégrins, tenir constamment toute la province sur le qui-vive. À la suite de chaque attaque, les Turcs de la plaine ou les montagnards chrétiens s’agitaient et prenaient les armes. Le consul résolut d’aller chercher auprès du prince son consentement à une trêve qui fît cesser ces alarmes continuelles. En effet il se rendit au mois de mai à Cétinié.

Les succès de notre armée en Orient donnaient alors à nos agens un grand prestige, un ascendant irrésistible sur ces populations belliqueuses, et disposèrent le prince à écouter avec déférence les conseils bienveillans et désintéressés de la France. Il fut convenu que le prince paierait dorénavant les dommages causés par les Monténégrins ; le consul s’engageait à faire accepter les mêmes conditions par les Turcs. Ce résultat fut d’un côté très avantageux pour l’Albanie, et de l’autre le prince put désormais faire valoir ses réclamations avec plus d’efficacité. La trêve fut observée par le Monténégro avec une religieuse fidélité. En Herzégovine, l’absence d’un agent français ne permit pas d’arriver à un résultat favorable. Le prince, s’arrangeant directement avec les mudirs des villes turques, s’engagea, moyennant une somme de 1,200 ducats, à conserver la tranquillité sur cette frontière, et même à faire la police des districts turcs circonvoisins.

La prise de Sébastopol rouvrit l’ère des négociations européennes.