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ruiné, mais ne fut pas soumis. Ses habitans sortirent des retraites où ils s’étaient réfugiés pour reprendre leur vie habituelle et recommencer la guerre.

La civilisation du Monténégro, son organisation comme état européen datent de l’avant-dernier vladika. Pierre Ier fut un prince vraiment digne de son siècle, et, sur un autre théâtre, on n’aurait pas plus hésité à lui donner le nom de grand que son peuple n’a hésité, après sa mort, à le mettre au nombre des saints. De longs voyages l’avaient initié aux mœurs, aux langues et à la littérature, des peuples policés. Reçu avec distinction par Joseph II, accueilli froidement d’abord, puis comblé de faveurs par Catherine, il résida longtemps à Vienne et à Saint-Pétersbourg. De retour dans sa patrie, il convoqua une diète nationale, et parvint, par de sages règlemens, à garantir la paix intérieure et à faire cesser la discorde entre les tribus. Ses premiers succès contre les Turcs furent contrariés par la paix de Sistov (1791), où le Monténégro fut sacrifié par l’Autriche et la Russie, qui l’avaient entraîné à la guerre. Pierre prouva bientôt qu’il n’avait pas besoin de leur secours pour vaincre. Il anéantit l’armée turque à la bataille de Krousé, où Kara-Mahmoud, pacha de Scutari, laissa sa tête. Cette victoire décida l’annexion au Monténégro de plusieurs nahias (tribus) dont l’indépendance était encore mal affermie.

En guerre contre la France à l’époque du consulat, l’Autriche et la Russie se disputèrent au Monténégro une influence prépondérante. En 1804, Pierre eut à déjouer une intrigue ourdie contre lui par des agens russes, qui l’accusaient de trahison envers la religion et la patrie, demandaient sa déposition, et, comme prêtre, le citaient à comparaître devant le synode de Pétersbourg. La fière protestation dans laquelle le peuple monténégrin revendiqua à cette occasion l’indépendance spirituelle et temporelle de son vladika est un des documens les plus curieux de son histoire. L’expédition de l’amiral russe Siniavin, sa prise de possession des bouches de Cattaro à l’aide des Monténégrins, nos combats et nos relations pacifiques avec ces derniers pendant notre domination en Dalmatie, font partie de notre propre histoire. En 1814, les Monténégrins occupèrent de nouveau les bouches de Cattaro. Les Bocquais, ou habitans des bords du golfe, signèrent avec eux une déclaration collective d’indépendance, en proclamant l’union des deux peuples, qui avaient fait partie jadis du royaume serbe et de la principauté de Zêta. Les Bocquais rappelaient qu’ils ne s’étaient jadis donnés à Venise qu’à la condition expresse de redevenir libres, si cette république se trouvait un jour impuissante à défendre leurs droits. Ils envoyèrent une députation à l’empereur de Russie ; Alexandre ne tint aucun compte de leurs vœux. La province de Cattaro fut adjugée à l’Autriche.