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À côté de lui marchait, fort à regret, le comte de Toulouse, qui a dû aux haines de Saint-Simon contre l’aîné des bâtards de voir son froid égoïsme transformé en une sorte de sereine impassibilité. Puis venait Villars, dont l’orgueil vantard avait besoin d’être couvert par les souvenirs de Denain ; enfin Villeroy, plus hautain dans ses défaites que Villars lui-même dans ses victoires, et qui, jusqu’au jour où il eut épuisé la patience du régent, trouva le moyen d’en être à la fois le serviteur le plus soumis et l’ennemi le plus implacable.

Parmi les personnages ralliés à la fortune du régent figuraient d’Antin, le type accompli, pour ne pas dire idéal, du courtisan ; d’Huxelles, qui, sous le masque d’un Caton, cachait des mœurs infâmes, mais dont le nom se rattachait à ce miracle de la paix d’Utrecht qui avait sauvé la France. Torcy, le seul ministre de valeur né sous Louis XIV, et qui aurait joué un rôle prépondérant sous la régence, si un autre n’avait joint aux mêmes qualités les complaisances alors nécessaires pour les faire valoir. Enfin au premier rang de ces adversaires de la veille, auxiliaires les plus précieux du lendemain, paraissait le duc de Noailles, président du conseil des finances, qui avait deviné les affaires faute d’avoir pu les apprendre, parleur aussi disert qu’inventeur infatigable, dont l’Angleterre aurait fait à coup sûr le chef d’un grand parti, et qu’un gouvernement faible et obéré ne tarda pas à faire descendre au rôle d’homme à expédiens vaincu par l’audace d’un aventurier.

Tels étaient les hommes les plus influens parmi ces soixante-dix ministres au petit pied dont l’importance diminua dans la proportion où le nombre s’en augmentait sous l’influence de l’obsession et de la faiblesse. À ceux-ci vinrent se joindre, dans des positions diverses, pour compléter le gouvernement du régent, le peu d’amis personnels demeurés fidèles dans toutes les fortunes de ce prince. C’étaient d’Effiat, que Saint-Simon a peint en traître de mélodrame, et qui ne fut probablement qu’un ambitieux sans scrupule ; Canillac, le seul de ses roués que le régent admît aux affaires, parce qu’il était moins débauché par goût que par complaisance ; le maréchal de Bezons, homme dévoué qui, en ne cherchant pas de rôle, parut presque toujours supérieur à celui qu’on lui assignait. C’était Dubois, l’homme de la vieille intimité, entré comme conseiller d’état sur un théâtre où les difficultés chaque jour croissantes allaient rendre ses services de plus en plus nécessaires. C’était enfin cet étrange duc de Saint-Simon, justement fier de son amitié courageuse et de sa verve éloquente, qu’il prenait pour du génie politique, homme à passions énergiques et à projets mesquins, auquel le duc d’Orléans, en l’appelant au conseil de régence sans lui donner