Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/547

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étranger aux ressentimens de son père, osait braver le roi son aïeul au point de serrer parfois cette main devant laquelle ne s’ouvrait aucune étreinte. La petite église du duc de Bourgogne et de M. de Cambrai n’hésitait pas à défendre le duc d’Orléans, dans la mesure du moins où les scandales de sa vie rendaient possible une pareille défense. Du fond de son exil, Fénelon s’efforçait d’amener à la religion cette âme déshéritée des enseignemens de la famille, et de suppléer par des écrits apologétiques aux lumières vivifiantes qui n’avaient pas lui sur son berceau : sympathie étrange, mais persévérante, par laquelle les adversaires secrets du système royal inclinaient tous vers un homme qu’ils en considéraient comme la victime, cherchant l’excuse de ses fautes dans l’oisiveté qui en avait été l’origine.


III

Enfin sonna l’heure où la pensée de quelques esprits réputés chimériques devint celle de tout un peuple. Le cours des événemens, encore plus imprévu que celui des idées, donna au plus décrié des princes la charge de réaliser quelque chose des vagues espérances rattachées au nom de ce duc de Bourgogne, dont la popularité mystérieuse fut une œuvre d’opposition qui a longtemps échappé à la sagacité de l’histoire. D’après cette rapide esquisse de sa vie, on voit que Philippe arrivait au pouvoir après des traverses provoquées par des adversaires dont l’inimitié allait s’accroître dans la mesure où diminuerait leur puissance. C’eût été à faire appréhender de longues vengeances, si la nature n’avait rendu ce prince encore plus étranger à la haine qu’au dévouement, et s’il n’avait été doué de cette sorte de douceur passive qui tient moins du cœur que du tempérament. Professant hautement d’ailleurs la philosophie du succès, il avait fini par mettre ses dispositions en accord avec ses maximes, de telle sorte qu’au début de la régence les princes légitimés, contre lesquels il venait de gagner une belle partie, se trouvèrent profiter de la générosité naturelle au joueur heureux et au guerrier triomphant. Frapper toujours ses ennemis dans leur force et jamais dans leurs intérêts, affaiblir leur puissance en ménageant leur vanité, et ne leur nuire qu’autant qu’il serait absolument nécessaire à lui-même, telle fut la règle d’une politique qui fut à la fois pour le régent instinctive et calculée.

Son gouvernement eut à compter, comme tous les pouvoirs nouveaux, avec les entraînemens auxquels il devait l’existence. La régence dut à ses débuts représenter une double réaction contre le régime précédent, l’une aristocratique, l’autre parlementaire. La noblesse avait vu avec une satisfaction mal dissimulée sous