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et subissant elle-même le contre-coup de tous les malheurs qui frappaient la France, cette cause parut assez près de sa ruine pour que la trahison crût l’heure venue de l’achever.

Cette extrémité suscita une tentation dangereuse dans l’âme du petit-fils d’Anne d’Autriche, déshérité par le testament de Charles Il de son droit éventuel à la succession d’Espagne. Ce prince, sans aller jusqu’à vouloir arracher au duc d’Anjou la couronne qu’il avait reçu mission de maintenir sur son front, crut qu’il deviendrait possible de la relever à son profit s’il lui arrivait de tomber à terre, et se mit ainsi dans la dangereuse situation de profiter d’un événement que son premier devoir était de prévenir. Des artisans d’intrigue persuadèrent à sa faiblesse que l’Europe supporterait plus facilement l’établissement au-delà des Pyrénées d’une branche collatérale de la maison de France que celle de l’héritier direct de Louis XIV, de telle sorte qu’un projet inspiré par une ambition malhonnête revêtit dans son esprit les apparences d’une transaction pacifique. Dans le cours des années 1707 et 1708, cette donnée fut suivie par le duc d’Orléans et par ses agens subalternes avec trop de timidité pour arriver au succès, mais avec assez de persévérance pour que la dénégation en devînt impossible. Rappelé en France, il y reparut comme un coupable, doublement accablé par la criminalité de son intention et l’humiliation de son impuissance. Placé durant plusieurs jours sous la menace d’une poursuite de haute trahison, il ne dut d’y échapper qu’à la grandeur même du châtiment qu’aurait entraîné la constatation juridique de pareils faits ; mais dès ce jour le duc d’Orléans fut à jamais perdu dans l’esprit du roi, son oncle, et la cour, à laquelle n’arrivaient que des bruits incertains grossis par la malveillance, estima le crime d’autant plus grand qu’on l’entourait d’un silence plus formidable.

Ne pouvant ramener l’opinion, il tenta de lui résister par l’éclat de ses désordres, oubliant que dans une telle lutte on n’a jamais le dernier mot contre elle. Placé, de Madrid à Versailles, sous le feu croisé de Mme des Ursins et de Mme de Maintenon, devenu un objet d’horreur pour le dauphin, père de Philippe V, attaqué chaque jour par la coterie de Meudon et par le parti des légitimés, auxquels il avait fourni une si belle occasion de s’élever sur ses ruines, le duc d’Orléans semblait prendre un amer plaisir à fournir des armes à ses ennemis en défiant la calomnie par le scandale. On comprend dès lors que les clairvoyances de l’ambition et les aveuglemens de la haine concordassent pour transformer en scélérat un homme que sa faiblesse éloignait autant du crime qu’elle le rapprochait du vice. Passionné pour les sciences, et particulièrement pour les investigations chimiques, le prince cherchait-il dans son laboratoire quelques distractions plus innocentes que ses plaisirs : c’était l’indice d’études