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calamités publiques, celle des conseils infructueusement donnés pour les prévenir[1].

À peine rétabli de ses blessures, le duc d’Orléans fut investi du commandement en chef de l’armée française en Espagne, où l’œuvre de Louis XIV semblait alors sur le point de crouler. Muni cette fois des pouvoirs politiques et militaires les plus étendus, portant le poids d’une responsabilité formidable, il demeura au-dessous de l’épreuve qui décida de sa vie, car cette épreuve funeste compromit son caractère en élevant sa fortune, et ne grandit la renommée du général qu’aux dépens de l’honneur du prince. S’il est vrai qu’une faute soit presque toujours cachée à la source de nos malheurs, on peut dire que cette faute fut consommée en Espagne, et qu’il n’était plus destiné à s’en relever.

Il prit le commandement le lendemain du jour où Berwick gagnait la bataille d’Almanza, et ce guerrier méthodique, l’un des narrateurs les plus véridiques des événemens de son temps, parce qu’il en fut l’un des témoins les moins passionnés, nous a laissé un loyal récit des opérations militaires du prince qui, par la prise de Lérida, obtint un honneur refusé au grand Condé. Cependant des succès partiels, perdus dans l’immensité de nos désastres, rapportaient plus de gloire au duc d’Orléans que de profit aux deux couronnes. Durant ces tristes années, la cause de Philippe V fut en effet un moment considérée comme à peu près désespérée. Combattue avec acharnement par une coalition victorieuse, désertée par de grandes provinces, compromise par des ministres antipathiques à l’Espagne,

  1. Un écrivain militaire d’un grand poids a récemment contesté la pression exercée sur le duc d’Orléans, durant la campagne d’Italie, par les ordres de la cour, directement adressés à Vendôme, à La Feuillade et à Marcin. En énonçant ce fait, j’ai exprimé l’opinion unanime des historiens du XVIIIe siècle, et M. le général Pelet me permettra d’ajouter que cette opinion me parait confirmée plutôt qu’elle n’est détruite par les documens originaux consignés dans l’importante publication qu’il a dirigée. Il résulte en effet de la plupart des lettres du duc d’Orléans au roi, et surtout de ses dépêches adressées à Chamillart, que ce prince fut en désaccord constant avec les généraux placés sous ses ordres pour la manière de conduire les opérations du siège et pour le plan de la campagne. Il résulte également des faits que les propositions de La Feuillade, et plus encore celles du maréchal de Marcin, prévalurent constamment contre celles du commandant en chef malgré les dissentimens chaque jour exprimés dans la correspondance de celui-ci. C’est une question très secondaire que de savoir si, en paralysant ainsi le duc d’Orléans, La Feuillade et Marcin suivaient un plan stratégique qui leur avait été tracé d’avance, ou s’ils étaient seulement autorisés à agir d’après leurs propres inspirations, que La Feuillade puisait dans sa confiance, et Marcin dans sa pusillanimité. Dans l’une comme dans l’autre hypothèse, il resterait démontré que le duc d’Orléans ne fut pas libre, et qu’il a pu légitimement décliner la responsabilité des événemens, comme il le fait dans un grand nombre de lettres où l’irritation est à peine voilée sous le respect. Voir surtout les lettres datées de Pignerol du 8 et du 14 septembre 1706. (Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, t. VI, p. 253 à 301.)