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par mégarde, survint à la fin de la cérémonie, pendant que la cour était en liesse, et qu’elle se vengea par un cruel tour de son métier : ne pouvant enlever au nouveau-né les belles qualités qu’il tenait de ses sœurs, elle décida, en vertu de sa puissance supérieure, qu’en les conservant toujours, le prince rendrait par sa conduite tous ces dons inutiles. Ce conte exprimait d’une manière assez heureuse la confuse impression que laissaient le caractère du duc de Chartres et la vue même de sa personne. Une physionomie gracieusement expressive, un œil ardent et fier, une voix admirablement accentuée, contrastaient avec une encolure courte, une taille trapue, une face rubiconde et des allures hardies qui rappelèrent quelquefois celles d’un satyre, faute de pouvoir être celles d’un héros. Le premier malheur de sa vie fut la mortalité qui frappa tour à tour les nombreux personnages chargés de présider à l’éducation du neveu de Louis XIV, épidémie si étrangement persévérante que Mme de Sévigné demandait en grâce qu’on renonçât à élever un gouverneur pour M. le duc de Chartres. Des maréchaux, des grands seigneurs, de simples gentilshommes passèrent tour à tour par ces fonctions. Enfin M. de Saint-Laurent, sous-gouverneur, ayant survécu seul à tous les gouverneurs titrés, fit passer la partie principale de l’éducation classique aux mains d’un valet de chambre élevé par charité dans un collège, qui, en aidant le prince dans la composition de ses devoirs, avait su se rendre agréable au royal élève. Un petit collet substitué à sa livrée donna, dans la maison de Monsieur, à cet homme à mine de fouine une attitude plus décente, sans lui imposer d’ailleurs aucune sorte d’obligation cléricale. Jusqu’au jour où il monta sur le siège de Fénelon, Dubois était demeuré parfaitement étranger à l’église, à laquelle il n’appartenait que par la coupe et la couleur de son habit. Ce choix n’eut pas sur l’avenir moral de l’élève les conséquences désastreuses qu’on s’est plu à lui attribuer. Ce petit abbé grêle et fluet, associant à la bassesse de son premier état les calculs d’une ambition naissante, se montra sans doute complaisant, comme tous les subalternes désireux de s’élever en faisant oublier leur origine ; il ne fut probablement ni très sévère ni très scrupuleux auprès d’un prince qui, ayant à peine reçu de Saint-Laurent les premiers principes d’une éducation chrétienne, trouvait à ses côtés une mère qu’une abjuration toute politique avait rendue à peu près indifférente en matière de religion, et un père trop déréglé dans ses mœurs pour tenter de corriger celles de son fils. Il faut être aussi aveuglé par ses haines que l’est le duc de Saint-Simon pour attribuer à l’action d’un pauvre hère sans conséquence la corruption précoce qu’un jeune homme ne pouvait manquer de respirer à Saint-Cloud, où régnait l’impure influence du chevalier de Lorraine, à