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princes légitimés pour la préséance et contre les présidens à mortier pour le bonnet ; il s’humanise jusqu’à caresser la robe, afin d’obtenir du procureur-général d’Aguesseau la promesse de conclusions favorables contre celle de la simarre ; enfin il croit avoir ville gagnée lorsque le duc de Guiche, commandant des gardes, empressé de faire revivre les fructueuses traditions des précédentes minorités, a promis son concours au futur régent moyennant 500,000 francs payés comptant. Soucis naturels, mais inutiles : le duc d’Orléans n’avait besoin pour prendre le pouvoir ni des manœuvres de Saint-Simon, ni des baïonnettes des gardes, ni de l’appui de l’ambassadeur d’Angleterre, ni même des belles harangues de d’Aguesseau et de Joly de Fleury ; ajoutons qu’il avait à peine besoin de lui-même. Antagoniste des bâtards, dont l’insolente fortune avait révolté la nation, représentant d’aspirations d’autant plus vives qu’elles étaient plus vagues, son nom exprimait un espoir et une vengeance, double garantie pour toutes les causes.

Dans la journée fameuse où le parlement ouvrit avec une respectueuse solennité le testament de son roi décédé la veille, dont il avait déjà conspiré l’annulation, la lutte parvint à peine à s’engager entre les deux compétiteurs, contraints de s’incliner devant une juridiction dont ni l’un ni l’autre ne reconnaissait au fond la compétence, quelque respect qu’ils lui témoignassent. Le duc du Maine se sentit écrasé par la force d’une situation contre laquelle il ne tenta pas même un combat impossible ; le duc d’Orléans triompha sur tous les points malgré des fautes de conduite relevées par tous les témoins de cette séance mémorable[1], fautes qui aidèrent à son succès, comme en d’autres temps elles auraient déterminé sa perte. Dépouillé de son commandement militaire, M. du Maine ne conserva que la surintendance de l’éducation royale, et dut comprendre que les prérogatives encore maintenues à lui-même et au comte de Toulouse, son frère, étaient désormais à la merci de son rival.

En échange des déclarations réitérées du duc d’Orléans, qui réclamait « une entière liberté pour le bien en consentant d’être lié pour le mal, » ce prince obtint des magistrats, transformés en représentans de la nation par l’urgence d’opposer une digue à un despotisme posthume, la plénitude de l’autorité souveraine, et spécialement le droit de composer comme il lui plairait son conseil de

  1. Le procès-verbal imprimé de la séance du 2 septembre 1715, les manuscrits du duc de Chaulnes et du duc d’Autin, ceux qu’a publiés l’abbé Millot sous le nom du duc de Noailles, exposent les faits à peu près comme les Mémoires de Saint-Simon, et le récit de ce dernier est, dans ses principales circonstances, conforme aux bruits publics recueillis et reproduits par Mlle Delaunay. (Mémoires de Mme de Staal, p. 323, éd. Petitot.)