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— Oh ! monsieur Goefle, j’étais bien utile !

— Oui, pour les bateaux de papier et les traîneaux de mie de pain ! C’est très utile assurément ; mais si, à l’âge où te voilà, tu ne sais pas faire autre chose…

— Mais, monsieur Goefle, j’en sais bien autant que les autres enfans de dix ans !

— De dix ans, bourreau ? Tu n’as que dix ans ? Et ta tante qui t’en donne treize ou quatorze ! Eh bien ! qu’est-ce que tu as, imbécile ? Pourquoi pleures-tu ?

— Dame, monsieur le docteur, vous me grondez ! Ce n’est pas ma faute si je n’ai que dix ans.

— C’est juste ! Voilà ta première parole sensée, depuis ce matin que j’ai le bonheur de te posséder à mon service. Allons, essuie tes yeux et ton nez ! Je ne t’en veux pas. Tu es grand et fort pour ton âge, c’est toujours ça, et, ce que tu ne sais pas, tu l’apprendras, n’est-ce pas ?

— Oh ! oui, monsieur Goefle. Je ne demande pas mieux !

— Mais tu l’apprendras vite ?… Je suis fort impatient, je t’en avertis !

— Oui, oui, monsieur Goefle, j’apprendrai tout de suite.

— Sais-tu faire un lit ?

— Oh ! je crois bien ! Chez le pasteur, je faisais toujours le mien tout seul !

— Ou tu ne le faisais pas du tout ! N’importe, nous verrons ça.

— Mais, monsieur Goefle, ma tante me disait, quand elle est venue à Falun pour me mettre en route avec vous, ce matin : Tu n’auras rien à faire au château où tu vas avec ton maître. Il y a dans le château de M. le baron de… de…

— De Waldemora.

— Oui, oui, c’est ça ! Il y a de belles chambres toujours propres et un tas de domestiques qui font tout. Ce que M. Goefle veut, c’est qu’on soit là pour commander à sa place, et il ne veut plus emmener François, parce que François ne reste jamais dans sa chambre. Il va boire et se divertir avec les autres laquais, et monsieur est obligé de courir partout et d’appeler pour demander ce qu’il lui faut. Ça le dérange. Monsieur n’aime pas ça du tout. Toi, tu seras bien sage ; tu ne le quitteras jamais, tu entends bien ? Tu le feras servir, et on te servira aussi.

— Ainsi, dit le docteur, voilà sur quoi tu as compté ?

— Dame ! je suis bien sage, monsieur Goefle ; je ne vous quitte pas, vous voyez ; je ne vais pas courir avec les grands laquais du château !

— Il vaudrait mieux !… Mais je t’en défierais bien là où nous sommes.