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la litière d’une écurie. Pourtant il était malade, le pauvre âne, et ce fut la première préoccupation du plus grand des deux voyageurs qui le conduisaient.

— Puffo, dit-il en posant sa lanterne sur une grande table qui occupait le milieu de la chambre de l’ourse, Jean est enrhumé. Le voilà qui tousse à se fendre les poumons.

— Parbleu, et moi ! répondit Puffo en italien, c’est-à-dire dans la même langue dont s’était servi son compagnon : croyez-vous, patron, que je sois frais et gaillard depuis que vous me promenez dans ce pays du diable ?

— J’ai froid aussi, et je suis las, reprit celui que Puffo appelait son patron ; mais de quoi servirait de nous plaindre ? Nous y voilà, et il s’agit de ne pas s’y laisser mourir de froid. Regarde si c’est bien là la chambre de l’ourse dont on nous a parlé.

— À quoi la reconnaîtrai-je ?

— À ses cartes de géographie et à son escalier qui ne mène à rien. N’est-ce pas ainsi qu’on nous a dit là-bas, à la ferme ?

— Je n’en sais rien, répondit Puffo. Je n’entends pas leur chien de patois.

En parlant ainsi, Puffo prit la lanterne, l’éleva plus haut que sa tête et dit avec humeur : Est-ce que je connais la géographie, moi ?

Le patron leva les yeux, et dit : — C’est bien ça. Voilà les cartes, et ici, ajouta-t-il en enjambant lestement l’escalier de bois et en soulevant la carte de Suède qui se présentait devant lui, voilà l’endroit muré. C’est bien, Puffo, ne nous désolons pas. La chambre est bien close, et nous y dormirons comme des princes.

— Je n’y vois pourtant pas… Ah ! si fait, voilà un lit ; mais il n’y a ni matelas, ni couchette, et on nous avait parlé de deux bons lits !

— Sybarite ! Il te faut des lits partout à toi ! Voyons ! regarde s’il y a du bois dans le poêle, et allume le feu.

— Du bois ? Non, il y a de la houille.

— C’est encore mieux. Allume, mon garçon, allume ! Moi, je vais m’occuper de ce pauvre Jean.

Et, prenant un lambeau de tapis qui traînait devant le poêle, le patron se mit à frotter l’âne si résolument qu’en peu d’instans il se sentit tout réchauffé lui-même.

— On m’avait bien averti, dit-il à Puffo, qui allumait le poêle, qu’au-delà du cinquante-deuxième degré les ânes souffraient du froid ; mais je ne le croyais pas. Je me disais que l’âne étant moins délicat que le cheval, qui vit jusqu’en Laponie… et d’ailleurs celui-ci est, d’une si belle santé et d’un si bon caractère !… Espérons qu’il fera comme nous, et qu’il n’en mourra pas pour quelques jours. Il n’a pas encore refusé le service, et la pauvre bête porte