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mitivement sanctionné par un décret de la reine. Or le parti modéré, revenu au pouvoir, s’est ému de cette sorte d’apothéose décernée à l’ancien ministre progressiste. En présence de l’érection prochaine de la statue, des sénateurs ont protesté, et le cabinet, vivement pressé, s’est vu conduit à présenter aussitôt un projet établissant qu’aucun honneur public ne peut être rendu, qu’aucun monument ne peut être élevé, si ce n’est en vertu d’une loi. Ce qui compliquait la question, c’est que, peu de jours auparavant, le président du conseil, M. Isturitz, dans une communication, avait paru sanctionner la pensée du monument projeté en faveur de M. Mendizabal. Là était le point délicat, c’est-à-dire la possibilité d’une divergence, soit entre les membres du ministère, soit entre le cabinet et le sénat. Ce premier nuage n’a pas tardé à se dissiper, puisque le ministère tout entier est venu soutenir la loi sur les honneurs et les monumens publics. M. Isturitz n’a point hésité à sacrifier à la raison politique l’opinion qu’il avait exprimée d’abord. M. Mendizabal n’a point obtenu sa statue dans le sénat ; mais le ministère demeurait intact. Le cabinet paraissait du moins raffermi, lorsqu’un incident imprévu venait tout remettre en doute. C’est une simple question de règlement intérieur qui s’est agitée dans le congrès. Le gouvernement se prononçait pour une certaine interprétation du règlement ; la majorité, par le fait, sanctionnait cette interprétation. Il y avait cependant une minorité assez nombreuse, et parmi les dissidens se trouvaient quelques hauts fonctionnaires de l’état, M. Martinez de la Rosa, M. Posada Herrera, M. Gonzalez Bravo. De là venait une crise nouvelle. Le soir même du vote, une réunion avait lieu chez un membre de la majorité ; le ministre de l’intérieur était présent, et dans cette conférence il était décidé qu’on presserait le gouvernement de donner à sa politique un caractère plus net, plus énergique, qu’on demanderait notamment au cabinet la destitution des députés qui avaient voté contre lui. Le ministre de l’intérieur, M. Ventura Diaz, se faisait l’organe de ces résolutions dans le conseil, et ses propositions n’ayant point été acceptées, il a donné immédiatement sa démission. Sera-t-il suivi par quelques-uns de ses collègues ? C’est ce qu’on ne peut savoir encore. Toujours est-il que cette crise est devenue assez sérieuse, et que, pour ne point la laisser se compliquer d’autres élémens, le cabinet a pris le parti de suspendre momentanément les séances des chambres. Que peut-il sortir d’ailleurs de cette situation ? Le roi favoriserait peut-être de son influence le retour au pouvoir du général Narvaez ; mais la reine a, dit-on, quelque répugnance à rappeler son ancien président du conseil. M. Bravo Murillo est aussi un candidat naturel ; il reste à savoir si le moment est venu pour lui de reprendre la direction des affaires. Il y a toujours sans doute une fraction absolutiste influente et active au palais de Madrid ; cependant la reine sent au fond tout le péril de telles aventures. Dans ces conditions, M. Isturitz a quelque chance de rester au pouvoir, justement en raison de son esprit conciliant ; mais M. Isturitz lui-même, que peut-il faire aujourd’hui ? Son premier embarras est dans les chambres, dont la majorité irait beaucoup plus loin que lai dans la voie de la réaction, de telle sorte que si M. Isturitz reste au pouvoir, il est difficile que la suspension momentanée des chambres ne devienne pas définitive, au moins pour cette session.