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Qu’on observe de près la situation qui résulte de ces faits. Cette lettre paraît avant même qu’on sache si la proclamation de lord Canning a été publiée ; de plus, le bruit des débats actuels va retentir dans l’Inde, et il ne restera plus qu’une autorité énervée et nominale entre les mains du gouverneur-général, désavoué dans un moment où la pacification est loin d’être complète. Le ministère a fait évidemment une chose légère, et les partis se sont hâtés de saisir cette arme qui] tombait si heureusement entre leurs mains. M. Gardwell a proposé à la chambre des communes une résolution tendant à exprimer un blâme énergique sur la conduite du cabinet. Dans la chambre des pairs, lord Shaftesbury a déposé une motion semblable. C’est là ce qui menace aujourd’hui le ministère. Il est vrai qu’au dernier moment, voyant l’orage grossir, le président du bureau de contrôle, lord Ellenborough, a pris le parti d’assumer personnellement la responsabilité de la lettre écrite à lord Canning, et il a donné sa démission. Il s’est sacrifié à l’existence du ministère ; mais cela suffira-t-il ? Jusqu’ici, le cabinet trouvait à quelques égards un gage de sécurité dans les divisions qui existaient entre lord Palmerston et lord John Russell. Aujourd’hui la question qui vient de s’élever efface momentanément ces divisions. Tout le parti libéral et les peelites paraissent marcher du même pas contre le ministère, dont l’existence tient à l’issue de la lutte engagée dans les deux chambres.

De quoi se compose la marche du monde, si ce n’est du mouvement permanent des relations internationales et du travail des institutions intérieures ? Les conditions sont différentes et offrent un champ inégal aux luttes des partis ; l’essence de la vie publique est la même, puisque partout il s’agit d’arriver à cet équilibre tant désiré, si souvent troublé, entre les prérogatives du pouvoir et la libre discussion, le libre contrôle exercé par chaque peuple sur ses affaires. Le corps législatif de France vient de mettre fin à ses travaux de la session et de rentrer, jusqu’à un appel nouveau, dans le sein du pays. Élu il y a un an, le corps législatif se réunissait peu après, mais simplement pour se constituer ; la vraie session ne commençait qu’au mois de janvier, et, si l’on s’en souvient, elle s’ouvrait alors dans des circonstances sérieuses, au lendemain d’un événement qui a retenti en Europe, qui a eu son action sur la politique intérieure de la France. Cette session, peu occupée d’abord, plus active à la fin, n’a point offert sans doute les spectacles émouvans des grandes luttes parlementaires. Le corps législatif se meut dans une sphère soigneusement circonscrite. Les affaires étrangères échappent à son contrôle ; la direction de la politique intérieure est indépendante de son examen ; ses discussions arrivent au public tempérées par une rédaction uniforme. La session qui vient de finir est loin cependant d’avoir été infructueuse ; elle présente un certain faisceau de travaux utiles accomplis sans bruit et embrassant des questions bien diverses. Nouvelle loi pénale militaire, mesures économiques pour l’exécution ou l’extension des travaux de drainage, développement des œuvres de viabilité commencées dans Paris, affaires financières, budget, rétablissement des pénalités contre l’usurpation des titres ou des signes de distinction honorifique, le corps législatif a étudié, modifié ou voté tous ces projets, et les discussions ont été le plus souvent sérieuses et développées. Le cours des choses a naturel-