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chambre des communes que l’Angleterre et la France s’étaient mises complètement d’accord sur la question des principautés. M. Disraeli était-il bien sûr de ce qu’il disait en cette occurrence ? Il lui a suffi sans doute d’obtenir le succès qu’il cherchait en écartant la motion de M. Gladstone. Une chose pourtant paraît bien certaine, c’est que la France n’a renoncé à aucune de ses idées, et que si cet accord invoqué si à propos par M. Disraeli existe réellement, il n’a pu s’établir que dans un sens favorable à l’union des principautés. Quelle raison aurait donc eue la France d’abdiquer ses premières opinions ? Tout jusqu’ici justifie ses prévisions. On a voulu connaître les vœux des populations roumaines ; ces vœux ne sont plus un mystère. Les principautés ont été interrogées, elles ont répondu. La valeur de la combinaison à laquelle se ralliait lord Clarendon reste la même. S’ensuit-il que l’union des principautés s’accomplira ? Il est bien clair qu’on n’entre pas en négociation entre grandes puissances pour persister jusqu’au bout dans une opinion absolue, qui rencontrerait en face une opinion également absolue et également obstinée. Les principautés n’auront peut-être pas l’union qu’elles souhaitent, cette union qui est un signe de nationalité et d’indépendance ; elles auront du moins, jusqu’à un certain point, l’union administrative, une sorte d’unité de législation et d’intérêts, en un mot tout ce qui prépare une fusion plus complète. Tels seront sans doute les élémens de la transaction qui achèvera l’œuvre pacificatrice commencée il y a deux ans.

Sans se rattacher absolument aux affaires sur lesquelles la diplomatie européenne a une décision à rendre, l’existence du Monténégro dans ses rapports avec l’empire ottoman n’est pas moins une sorte de dépendance de la question d’Orient, et la réunion si prochaine de la conférence donne un caractère d’autant plus étrange aux mesures militaires par lesquelles la Turquie semble aujourd’hui menacer ce petit pays. Il y a deux points essentiels, comme le dit le Moniteur dans un article récent. D’un côté, le Monténégro tient à l’empire ottoman par un lien très vague. Ce n’est point le rapport du vassal au suzerain, puisque le droit de suzeraineté n’est consacré par aucun titre, par aucune convention. Les Turcs invoquent le droit de conquête, et en effet ils ont envahi quelquefois le Monténégro, mais sans jamais s’y fixer, sans donner à leur occupation le caractère de la permanence. C’était, si l’on veut, une conquête intermittente, accomplie par la force, cessant avec les circonstances, et qui ne crée point évidemment un droit de souveraineté. Il serait en vérité trop étrange aujourd’hui, de la part du gouvernement ottoman, de faire revivre des prétentions qui n’ont jamais été reconnues, et de vouloir se montrer en maître sur un territoire qui lui est fermé depuis un siècle. C’est cette indépendance du Monténégro que l’Autriche défendait par la mission du comte de Leiningen à la veille de la dernière guerre. Le principe de l’intégrité de l’empire ottoman n’est donc nullement à invoquer ici. Cependant d’un autre côté, entre le Monténégro et les provinces voisines de la Turquie, il y a des difficultés traditionnelles de délimitation. Les Monténégrins envahissent les provinces turques, et les Turcs envahissent à leur tour le Monténégro. De là des luttes sanglantes qui se renouvellent sans cesse, et qui sont devenues plus graves au milieu des troubles qui ont agité récemment l’Herzégovine et la Bosnie. La Turquie a