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M. Bottesini, contre-bassiste non moins remarquable, mais compositeur médiocre et sans idées. Ce qu’il y a eu de mieux au concert qu’il a donné le 5 mars, c’est le concerto pour piano et orchestre de Mendelssohn, œuvre d’un ordre très élevé, que M. Lubeck a rendue avec un talent digne de la pensée du maître. M. Sivori, selon nous le premier violoniste connu qui existe aujourd’hui en Europe, n’a qu’un tort, celui de jouer de sa musique, qui n’est pas digne de son talent de virtuose ; mais on peut lui pardonner cette faiblesse, cette smania de composition, puisqu’il exécute si bien la musique des maîtres. Dans les deux soirées qu’il a données cet hiver à Paris, M. Sivori a soutenu sa brillante réputation. M. Bazzini, un autre violoniste italien de beaucoup de talent, quand il se tient sur la réserve et qu’il se contente de bien chanter sur le médium de son instrument, a donné aussi dans la salle de M. Herz un concert qui a été remarqué.

M. Henri Wienawski est un jeune Polonais de vingt-quatre ans à peu près, d’une figure originale, qui n’est pas sans analogie avec le masque allongé et diabolique de Paganini, dont il imite volontiers la désinvolture. Après avoir fait ses études musicales au Conservatoire de Paris, où il a remporté le premier prix de violon sous la direction de M. Massart, M. Wienawski s’est mis à parcourir le monde son instrument à la main. Il a été en Allemagne, en Pologne, en Russie, et nous est revenu cet hiver à Paris, où il a donné dans la salle de M. Herz deux concerts qui ont excité la curiosité des amateurs. L’exécution de M. Wienawski est hardie, aucune difficulté de mécanisme ne l’arrête, et il promène triomphalement son archet sur les cordes frémissantes, qui ne rendent pas toujours un son très pur, ni d’une justesse irréprochable. M. Wienawski joue un peu à l’aventure, risque beaucoup pour atteindre le but qu’il se propose, qui est, ce nous semble, d’exciter l’étonnement. Il y réussit très souvent, mais aux dépens du goût, qui ne s’accommode pas de tous les caprices. Le style de M. Wienawski, si tant est qu’il en possède un, manque de sévérité, et la fantaisie y surabonde. Dans le concerto pour violon de Beethoven, morceau que nous demandons la permission de ne pas trop admirer, M. Wienawski a composé et exécuté un point d’orgue étonnant de complications et de difficultés qui ont émerveillé le public d’élite qui l’écoutait. Dans la sonate dédiée à Kreutzer, que M. Wienawski a exécutée avec M. Rubinstein, on a pu s’assurer que le jeune et merveilleux pianiste possédait une maturité que M. Wienawski acquerra sans doute également. Si M. Wienawski n’a rien de mieux à faire qu’à courir le monde, il ferait bien de rester quelque temps à Paris et de soumettre la furia qui emporte son archet à une discipline plus sévère. Il serait dommage qu’un si beau talent se perdît en folles aventures qui ne peuvent avoir qu’un temps, celui de la jeunesse, qui passe si vite. Mlle  Joséphine Martin, une jeune pianiste française d’un talent vif, brillant, spirituel et plein de brio, a donné aussi un concert, où elle a fait entendre plusieurs charmantes fantaisies de sa composition. Enfin n’oublions ni Mme  Louise Abel, qui interprète si bien sur le piano la musique des maîtres, ni Mme  Sievers, qui chante et qui compose avec tant de goût de si jolies canzonette qui courent le monde, ni M. George Pfeiffer, qui joue du piano avec une netteté remarquable. M. Bessems, un professeur connu et distingué, et M. Roberti, compositeur italien plein de facilité, ont donné chacun une soirée qui mérite d’être consignée