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de Leipzig a voulu élever au-dessus de Mendelssohn. Ce n’est pas par la clarté ni la soudaineté des idées que brillent les compositions de Schumann. La marche et le scherzo sont les fractions saillantes du quintette de Schumann, dont la partie de piano a été rendue avec un grand éclat par M. Lubeck. On a terminé par un charmant quatuor posthume de Schubert, où M. Armingaud s’est fort distingué par la chaleur et le sentiment qu’il a mis dans l’exécution. En général les séances données par MM. Armingaud et Léon Jacquart, violoncelliste de la bonne école, remarquable surtout par la qualité du son qu’il tire de l’instrument, sont dignes de l’attention de la critique, et méritent le succès qu’elles obtiennent, depuis trois ans, auprès d’un public très choisi. C’est le faubourg Saint-Germain qui domine dans ce cénacle, où le talent gracieux et placide de Mme  Massart est fort bien accueilli.

N’oublions pas de mentionner encore les trois soirées musicales données par M. Lebouc, et dans lesquelles M. Hermann tient avec talent la partie de premier violon, et Mme  Mattmann celle de piano, ni la société de quintettes fondée par M. le baron de Pounat, où j’ai entendu un quintette pour instrumens à cordes de M. Adolphe Blanc, compositeur distingué, qui a du goût, des idées claires, et qui ne se paie pas de vaines formules. Arrêtons-nous un instant sur le nom bien connu de Mme  Szarvady (Wilhelmine Clauss), qui, après un silence regrettable de plusieurs années, a donné trois séances brillantes dans les salons de M. Pleyel. C’est une pianiste d’un talent élevé, qui, depuis son mariage, semble vouloir répudier la grâce et une rêverie poétique qui caractérisaient son exécution pour viser à la force, dont nous n’avons que faire, car ce n’est pas là le partage de la femme. Nous l’avons entendue avec un vif plaisir exécuter à la première soirée la fantaisie chromatique avec la fugue de Sébastien Bach, composition curieuse, qui, précédée d’une sorte de récitatif, se déroule ensuite en spirales rhythmiques, formées de notes qui s’attirent et se repoussent par la simple attraction tonale. Bach fabrique des formes musicales sans trop s’inquiéter de ce qu’elles contiennent. Il ressemble en cela aux madrigalistes italiens du xvie siècle, qui n’avaient d’autre but, en composant leurs charmans badinages à cinq et à six voix, que de fournir une harmonie ingénieuse et piquante, dont l’intérêt consistait dans la suspension du sens tonal jusqu’à la cadence finale. Mme  Szarvady a exécuté ce morceau difficile avec une netteté et un aplomb remarquables. Elle a été moins heureuse dans la sonate en sol majeur de Beethoven, qu’elle a trop détaillée, ce nous semble ; mais elle a repris ses avantages dans la marche de M. V. Alkan, parce qu’elle a pu y déployer plus de force nerveuse que de sentiment. Que Mme  Szarvady toutefois y prenne bien garde : la pente qui l’entraîne pourrait la conduire plus loin qu’elle ne voudrait aller et gâter une nature de femme des plus distinguées.

M. Henri Herz, qui ne vieillit pas et qui est plus vivace que jamais, a donné le 3 mars un concert qui a été très brillant. Il y a exécuté un nouveau concerto de sa composition pour piano, orchestre et chœurs, où se trouvent les qualités connues de son talent, de la grâce et de la facilité sans emphase. C’est un causeur aimable et spirituel que M. Herz, quand il est à son clavier. Il a été admirablement secondé par M. Servais, le violoncelliste belge, qui serait le premier artiste du monde s’il était plus contenu, et si la musique qu’il exécute était de meilleur aloi. Nous en dirons autant de