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devoir est d’éclairer et de respecter la bonne foi du public ? Les Saisons de Haydn ont défrayé en entier la seconde séance, qui a paru un peu longue et pas assez variée. Au troisième concert, qui s’est donné le 7 février, on a chanté pour la seconde fois l’hymne des mages, d’un opéra inédit de Lesueur, Alexandre à Babylone, qui ne fait pas regretter le reste de la partition. Il y a des noms qui ne peuvent survivre au temps où ils ont vécu, et je crois bien que Lesueur est de ce nombre. Pourquoi la Société des Concerts est-elle si avare de la musique de Cherubini, un vrai maître, dont la génération actuelle ne connaît guère que le nom ? Il y a dans Lodoïska, dans Élisa ou le mont Saint-Bernard, dans Médée et dans Faniska, des beautés de premier ordre qu’il serait du devoir de la société de faire apprécier. Cela vaudrait mieux que de nous faire entendre des puérilités comme la pavane du xvie siècle, qui remplissait le cinquième numéro du troisième concert. Un morceau charmant et qui a été fort applaudi, c’est le thème et la fugue de Haendel, variés pour orchestre, avec un goût et une finesse de détails où l’on ne reconnaît pas la main vigoureuse qui a donné à l’Angleterre la seule musique nationale qu’elle possède[1]. Pourquoi n’avoir pas appris au public que ce délicieux badinage est de M. Auber ? Cela n’aurait rien enlevé à la gloire de Haendel, et aurait fait honneur au bon vouloir de ceux qui rédigent les programmes, très défectueux, de la Société des Concerts. À la quatrième séance, on a exécuté la neuvième et grande symphonie avec chœurs de Beethoven, monument plus grandiose que véritablement beau, parce qu’une des qualités suprêmes de la beauté en toutes choses est la proportion et l’harmonie des parties.

Quoi qu’en puissent dire des enthousiastes de la force de M. de Lenz et de M. Seroff, un Russe non moins curieux par les théories qu’il a émises, et qui lui ont valu l’admiration de M. Liszt et de M. Brendel, son historiographe, je reste persuadé que la mesure de ce qui est incontestablement beau n’est pas seulement dans la force spontanée du génie créateur, mais qu’il faut aussi le contrôle du sentiment de tous. Nous répéterons avec M. Oulibichef, qui vient de mourir à sa terre de Nijni-Novgorod, et dont nous sommes loin d’approuver toutes les idées, que les beautés de l’art ne peuvent se passer, comme les hautes vérités de la science, de l’assentiment des hommes éclairés pour qui elles sont faites. Ainsi donc je persiste à penser que le premier morceau de la symphonie avec chœurs est obscur, d’un enfantement

  1. Haendel est depuis quelque temps l’objet de recherches et de travaux fort intéressans. Il a paru à Londres, chez Trübner et Ce une biographie de ce grand musicien, par M. Victor Schoelcher, qui renferme de nouveaux et curieux renseignemens. L’Allemagne ne reste pas indifférente à la gloire de ce génie biblique, qu’elle a porté dans ses entrailles fécondes. On s’occupe à Leipzig d’une publication des œuvres complètes de Haendel, accompagnée d’une histoire de sa vie, par M. Frédéric Chrysander, dont le premier volume a paru chez Breitkopf et Haertel. Le livre de M. Chrysander, dont nous avons lu le premier volume avec le plus vif intérêt, sera pour la vie de Haendel ce que l’ouvrage considérable de M. Otto Jahn est pour la vie de Mozart. Nous attendons que M. Otto Jahn ait terminé son ouvrage pour en parler plus longuement aux lecteurs de la Revue. Il n’y a que la pauvre Italie qui ne fasse rien pour ses grands hommes, et qui laisse des noms comme ceux de Carissimi, Scarlatti, Leo et Jomelli, enfouis sous la poussière des bibliothèques.