Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en chantant, puis recula, regardant la marquise d’un air si malheureux, que doña Barbara et sa fille se pincèrent les lèvres pour ne pas éclater de rire.

— Entre donc, Guillermo, dit la marquesa d’un ton très doux, tout en roulant de gros yeux ; assieds-toi là, près de ces dames.

Guillermo rougit, pâlit, avança à petits pas sur la pointe du pied, prit place sur le fauteuil et baissa la tête. Quand il la releva, il vit les deux grands yeux noirs de Leocadia qui le considéraient avec une sorte de pitié.

— On dirait que ma fille et moi nous vous avons fait peur, dit dona Barbara en se tournant vers le jeune homme.

— Oh ! non, madame, répliqua Guillermo, non certainement. Je croyais la marquise seule ici.

— Et vous avez été désappointé ?

— Pourquoi les dames disent-elles toujours de ces phrases qui gênent ? pensa Guillermo en regardant droit devant lui… doña Barbara se retourna dédaigneusement vers la marquise, laissant Guillermo réfléchir tout à son aise. Le pauvre jeune homme était à la fois soulagé et piqué au vif de ce que doña Barbara ne lui adressait plus la parole. Peu à peu sa physionomie prit un air de fierté sérieuse, et il parut se résigner au rôle de personnage muet. La marquesa souffrait de voir son fils adoptif s’enfoncer dans une rêverie chagrine qui lui donnait l’apparence d’un oiseau pris au piège.

— Guillermo, lui dit-elle doucement pour le remettre en scène malgré lui, nous parlions tout à l’heure de ton goût pour le dessin. Si tu allais chercher ton album pour le montrer à ces dames ?

Guillermo tressaillit à cette demande, qu’il était loin de prévoir. Aucune main étrangère n’avait encore feuilleté ces pages, qui renfermaient l’histoire de sa vie et l’expression de ses plus secrètes pensées.

— Va donc, reprit la marquesa ; doña Leocadia se connaît parfaitement en dessin, et je suis sûre qu’elle approuvera ton ouvrage.

Habitué à obéir, Guillermo fit un effort sur lui-même pour dissimuler son embarras. doña Barbara ne put s’empêcher de faire un léger mouvement d’épaules quand elle vit ce grand jeune homme s’éloigner d’un air gauche et timide, et refermer sur lui la porte du salon d’une main discrète, comme un enfant bien élevé. Bientôt Guillermo reparut, tenant à la main son album, qu’il ne savait à qui présenter.

— Voyons, donnez-moi cela, dit doña Barbara ; j’aime beaucoup à regarder des images. Qu’est-ce que cela ? Une maison couverte de chaume, entourée de lierre, avec de grandes prairies tout à l’entour, de beaux arbres ?…