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de grâce que le vieil Andrès, son maître d’équitation, et il pouvait aussi bien qu’aucun caballero de Séville s’accompagner sur la guitare. Tous ces agrémens, tous ces talens, que le monde eût appréciés s’il les lui eût supposés, étaient comprimés chez Guillermo par une timidité sauvage. Ne s’étant jamais comparé à personne, il s’imaginait ne rien savoir ; il croyait que les jeunes hommes si brillans et si contens d’eux-mêmes dont il entendait citer les noms l’eussent écrasé de leur supériorité. Et comme la solitude a toujours son mauvais côté, il en était venu à haïr ce monde inconnu qu’il redoutait. Dans le fond de son cœur, il y avait comme un besoin de lutter contre des rivaux absens, et de les surpasser pour avoir le droit de les mépriser à son tour.

Andrès, qui lui avait appris à monter à cheval, devint aussi son maître d’escrime. Don Guillermo aimait à manier le sabre et l’épée ; il s’enfermait souvent dans sa chambre pour s’exercer tout à son aise. Des idées chevaleresques bouillonnaient alors dans son cerveau ; il écrivait des ballades, il dessinait des cavaliers croisant le fer. Puis, quand un chien venait à aboyer dans la cour, il tressaillait, la rougeur lui montait au visage ; il cachait ses armes et son papier. Il ne trouvait sa force que dans la solitude, au sein du monde idéal qu’il évoquait durant ses longues rêveries. La marquise connaissait seule ce qu’il y avait de contradictions dans cette nature étrange et complexe ; encore n’en comprenait-elle qu’une partie. Ce sont là des secrets qu’une mère, — ne le fût-elle que par adoption, — ne peut jamais pénétrer complètement.

— Ah ! si je pouvais avoir mon jour de triomphe ! pensait parfois Guillermo, un seul jour, mais éclatant et glorieux ! Comme je me consolerais facilement de ces succès mesquins dont tant d’autres nourrissent leur vanité !…

Et pourtant ce jour ne venait point. Tandis que son esprit captif s’exaltait jusqu’à l’orgueil pour retomber dans la défaillance, son nom, tourné en ridicule, faisait sourire les jeunes gens et les jeunes filles du voisinage. De toutes les personnes qui s’égayaient aux dépens de don Guillermo, aucune n’avait plus envie de le voir de près que doña Barbara, l’amie empressée de la marquesa, celle-là même qui, quelques années auparavant, était venue s’informer du nom et de la naissance du marquesito. Doña Barbara revint donc, mais cette fois en grande toilette et accompagnée de sa fille, doña Leocadia. La marquesa les reçut toutes les deux dans son salon. Elles y étaient depuis une demi-heure environ, causant de choses indifférentes, et contrariées de ne pas voir le mystérieux marquesito, lorsque celui-ci parut, traversant le jardin à grands pas. Il ne se doutait pas qu’il y eût personne au salon. D’une main rapide, il ouvrit la porte