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barbet Cordero. L’enfant, qui était à étudier dans une chambre haute, quitta ses livres pour regarder à la fenêtre, et la marquesa, ressentit un léger frisson lorsqu’elle vit son ancienne amie s’avancer vers la porte. Il lui sembla que l’indiscrétion en personne faisait irruption sous son toit.

— Ma bonne Fernanda, dit doña Barbara en lui tendant la main, tu es un peu surprise de me voir ; mais tu as beau te cacher, tes amies pensent toujours à toi !… Tu as vraiment là une habitation charmante !… Et puis tout alentour des propriétés considérables… Que l’on dise donc encore qu’il n’y a pas de châteaux en Espagne !

La marquesa répondait de son mieux à ces politesses exagérées, et qui ne ressemblaient guère au simple langage de l’amitié. Lorsqu’elle eut fait asseoir doña Barbara dans le salon, celle-ci prit un air sérieux.

— Fernanda, dit-elle, sais-tu qu’on a beaucoup parlé de toi au Puerto ? Vraiment, ma chère, ta présence a fait sensation… Chacun disait que tu n’étais pas changée !

La marquesa s’inclina avec un sourire d’incrédulité.

— Tu ne me crois pas, reprit doña Barbara, je te reconnais bien là ! Tu as toujours été fantasque, et tu ne veux pas voir le monde comme il est ! Si tu avais entendu ce que disait de toi don Geronima, tu sais, ce colonel de si bonne mine qui nous fréquente assidûment,…. eh bien ! ce colonel ne serait pas éloigné de demander ta main…

— Remercie-le bien de ma part, dit la marquesa, je me trouve heureuse dans ma liberté, et je compte rester… veuve.

— Vieillir dans la solitude, dans l’abandon, sans famille, sans avoir personne à qui léguer ses biens !

— Les biens de mon mari retourneront à ses héritiers ; les miens m’appartiennent, et je les léguerai à qui je voudrai.

— Tu peux les léguer à qui tu voudras, cela est clair ; tu peux les donner à un inconnu, à un vagabond, au premier gitano qu’il te plaira d’enrichir… Il y a des caractères fantasques auxquels plaisent les coups de théâtre, les actions romanesques…

La marquesa rougit un peu ; elle se sentait attaquée dans ses pensées les plus intimes, et mise en demeure de s’expliquer sur un sujet qu’elle était résolue à ne pas traiter avec une amie aussi curieuse.

— Ma chère Barbara, dit-elle en reprenant tout son calme, tu parais me porter beaucoup d’intérêt et t’occuper de mes affaires comme s’il s’agissait des tiennes ?

— Sans doute, répliqua doña Barbara ; puisque tu as eu la fantaisie de te montrer avec un jeune garçon que personne ne connaît, on a bien le droit de te demander, en amie, et pour couper court