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attaché par une ceinture de soie et ouvert au-dessous du genou, ainsi que les guêtres andalouses. On le connaissait dans les habitations voisines sous le nom de Guillermo el Ingles ; tout le monde lui faisait bonne mine dans la maison, excepté le barbet Cordero, jaloux de ne plus occuper exclusivement les loisirs de la marquesa. Enfin Melitona, bien qu’elle murmurât quelquefois contre les instincts trop charitables de sa maîtresse, s’habituait à la présence de cet enfant, qui répandait autour de lui le mouvement et la vie. Dans ses momens de bonne humeur, elle se laissait aller à l’appeler familièrement el Ruhiecito, le blondin.


II.

Dona Fernanda, marquesa del Carmejo, avait passé la première jeunesse. La mort de son mari tué dans les guerres civiles l’avait laissée à vingt-cinq ans maîtresse d’elle-même. Se voyant veuve et sans enfant, elle s’était retirée dans sa maison des champs. Cette habitation rustique ne se recommandait ni par son architecture, ni par ses jardins ; on n’y remarquait ni tourelles, ni fossés, ni grand parc planté de vieux arbres et percé de longues allées : elle ressemblait plutôt à ces gros logis bourgeois de solide apparence dans lesquels se plaisaient nos pères, avant que la manie de construire des castels se fût emparée de tous les marchands enrichis. Au lieu de massifs groupés avec art et entourés d’allées couvertes de sable fin, la marquise n’avait sous les yeux que de grandes plantations d’orangers et de citronniers, çà et là quelques grenadiers, des lauriers et des chênes verts, le tout enclos de murs assez élevés. Par-delà cette réserve s’étendaient sur les coteaux de véritables forêts d’oliviers au feuillage pâle. Des prairies immenses, dans lesquelles paissaient en liberté des troupeaux de bœufs, complétaient ce domaine. C’était la vie champêtre sans aucun agrément de détail, mais dans toute son ampleur, l’espace, l’abondance, les horizons lointains couronnés par de hautes montagnes, et le mouvement des serviteurs mêlant les refrains de leurs vieilles chansons aux hennissemens des mules et aux mugissemens des taureaux. Après les premières années de son veuvage, la marquesa avait ressenti plusieurs fois les atteintes de la mélancolie au sein de cette nature sévère. Un soir qu’elle était plus triste que de coutume^ des larmes coulèrent de ses yeux, et elle demeura longtemps en proie à une inexprimable angoisse. Revenue de cet abattement, elle essuya ses pleurs, et regardant son visage dans le miroir : — J’ai été jolie, se dit-elle, et il m’en reste bien encore quelque chose. En ajoutant à ces débris de beauté beaucoup de bienveillance et d’aménité, je me ferai aimer ici de toutes les bonnes