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aventurier militaire perdu de dettes et de débauches, d’un esprit souple et brillant, d’un tempérament audacieux et impérieux, plein de mépris pour la liberté, courtisan de la multitude, et qui, dès 1792, faisait dire à Hamilton que le renversement de la république n’était rêvé qu’au sein du parti républicain, et que la démagogie américaine avait son Catilina. Il était chimérique de songer à se l’attacher ; la politique conservatrice ne pouvait servir ses desseins, la présidence ne pouvait satisfaire son ambition. Hamilton s’opposa vigoureusement à l’adoption d’un tel homme par ses amis. « Au nom du ciel, ne nous rendons pas responsables de son élévation, leur écrivait-il avec un honnête et patriotique effroi. S’il est quelqu’un que je doive détester, c’est Jefferson : j’ai toujours été au contraire dans de bons rapports personnels avec Burr ; mais le bien public avant tout !… Soyez certains que Burr profiterait de son succès pour tenter dans le gouvernement une réforme à la Bonaparte. C’est un des hommes les plus corrompus et les plus dangereux qu’on puisse citer en aucun pays. Jamais un plus parfait Catilina ne tint à minuit un conclave de conspirateurs… Si le parti le fait président et le prend pour chef officiel, je me verrai contraint de me regarder à l’avenir comme un homme isolé. Mes sentimens d’honneur et mes convictions politiques ne me permettraient pas de rester dans un parti qui se serait dégradé et qui aurait dégradé le pays. On s’exagère d’ailleurs beaucoup les défauts de Jefferson. Je crois avoir été l’un des premiers à dévoiler son vrai caractère aux dépens de ma popularité, et je ne saurais me faire aujourd’hui son apologiste. J’en conviens, sa politique est entachée de fanatisme ; il prend sa démocratie trop au sérieux ; il a combattu en ennemi acharné les principales mesures de notre administration ; il est rusé et tenace dans la poursuite de ses desseins ; il est peu scrupuleux dans le choix des moyens ; il a peu de souci de la vérité, et c’est un méprisable hypocrite. Tout cela est vrai ; mais il est faux qu’il soit assez zélé pour faire quoi que ce soit dans l’application de ses principes qui puisse compromettre sa popularité ou son intérêt. Il est aussi temporisateur que personne. Selon moi, son caractère nous promet un système de temporisation, non de violence. » Vains efforts ! les fédéralistes n’écoutaient plus personne. « Leur amour-propre est devenu si chatouilleux sur le chapitre des influences, qu’il devient dangereux de citer une opinion, écrivait Gouverneur Morris à Hamilton. Vous qui êtes sobre, vous n’avez peut-être jamais remarqué ce qu’il y a de gauche dans la situation d’un homme qui reste maître de son esprit alors que tout le monde est ivre. »

Le ballottage entre les deux compétiteurs commença le 11 février 1801. Les états se divisèrent par moitié ; trente-cinq tours de