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mencèrent à se demander s’il n’y aurait pas duperie à le porter une seconde fois à la présidence. « Les principaux amis du gouvernement sont en présence d’un triste dilemme, écrivait Hamilton le 5 janvier 1800. S’exposeront-ils au risque de produire un schisme dans le parti en cherchant à amener un changement, ou consentiront-ils à s’annihiler et à compromettre leur cause en continuant à soutenir ceux qui les soupçonnent et les détestent, et dont la seule politique sera probablement de les contrarier ? » Et le 10 mai 1800 : « Pour moi, mon parti est pris ; je n’appuierai pas M. Adams, cela dût-il entraîner l’élection de Jefferson. » Eût-il appuyé M. Adams, l’élection de Jefferson n’en aurait pas moins été inévitable. La réaction républicaine avait une force irrésistible. « La question n’est plus pour nous, écrivait M. Fisher Ames, de bien combattre, mais de bien tomber, de tomber comme Antée, et de nous relever par notre chute. » Les fédéralistes ne surent même pas tomber dignement. Sentant leur cause perdue, ils ne songèrent plus qu’à satisfaire leurs fantaisies et leurs rancunes, ou qu’à survivre à la mort de leur parti ; ils s’accusèrent réciproquement de leur insuccès, ils étalèrent devant le public leurs plaies secrètes. John Adams renvoya outrageusement de son cabinet les principaux amis de Hamilton, il le dénonça dans ses conversations comme le chef d’une faction anglaise intéressée à brouiller les États-Unis avec la France ; il s’attacha à rejeter sur lui les perfides épithètes que l’opposition avait indistinctement appliquées à tous les défenseurs du gouvernement. Hamilton publia contre John Adams un amer pamphlet. Déjà fort amoindris par ces mesquines récriminations, les fédéralistes se perdirent tout à fait dans l’estime publique en cherchant, par une manœuvre déloyale, à fausser le résultat de l’élection. Comme on pouvait le prévoir, le vote fut défavorable à John Adams ; mais le colonel Burr, le candidat des républicains à la vice-présidence, réunit exactement le même nombre de suffrages que Jefferson, leur candidat à la présidence. D’après la constitution, c’était à la chambre des représentans de décider lequel des deux élus serait le chef de l’état, question douteuse en droit strict, non en équité. Il était impossible de se méprendre sur l’intention des électeurs. Ils avaient voulu placer Jefferson au premier rang et Burr au second. La chambre ne pouvait intervertir cet ordre sans abuser de son droit et sans faire violence aux sentimens du pays ; la majorité fédéraliste ne pouvait trouver ni assez de force en elle-même ni assez d’appui au dehors pour mener à bien un tel coup d’état. Un mauvais sentiment et un mauvais calcul la conduisirent à le tenter. Elle voulut mortifier Jefferson et gagner Burr, empoisonner le triomphe de ses adversaires et l’escamoter à son profit. Le colonel Burr était un