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taient de rares et faibles attaques suffit à prouver que, s’il avait été exposé à celles dont les bandes fédéralistes se montrent capables, il aurait rejeté le gouvernail dans un accès d’indignation. »

En même temps que le respect d’autrui s’affaiblissait, l’usage de se rendre justice à soi-même prenait droit de cité aux États-Unis. Les duels politiques, les voies de fait se multipliaient ; on commençait à se rendre au congrès un assommoir à la main ou des pistolets dans les poches. Tantôt c’était M. Lyon qui, dans la chambre des représentans, répondait à une impertinence de M. Griswold en lui crachant au visage ; tantôt c’était M. Griswold qui, après huit jours de réflexion, abattait M. Lyon à ses pieds et l’envoyait rouler au milieu de ses collègues. Tantôt encore c’était une troupe d’officiers qui tombaient à bras raccourci sur un rédacteur de l’Aurora pour l’engager à ne plus médire de la milice, ou bien c’était un jeune orateur plein de talent et d’avenir, M. John Randolph, qui, en plein congrès, parlait de l’état-major de l’armée comme « d’un tas de gueux, » et qui le lendemain se voyait arraché de sa loge et jeté à la porte du théâtre, déplorables excès qui semblent avoir passé dans les mœurs américaines, mais qui étaient restés sans précédens jusqu’à l’avénement de John Adams.

Depuis que Washington avait renoncé au pouvoir, aucun frein ne modérait plus la fureur des partis. Sa retraite avait eu pour conséquence immédiate le déchaînement des mauvaises passions ; elle n’avait pas néanmoins tourné à l’avantage des républicains aussi promptement que Jefferson l’avait prédit. Il n’avait pas réussi à gagner John Adams, et il avait perdu beaucoup de ses soldats. Dans son découragement, il écrivait au ‘colonel Burr le 17 juin 1797 : « J’avais toujours espéré que lorsque la popularité du dernier président serait retirée de la balance, les penchans libéraux du peuple suffiraient à rétablir entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif l’équilibre, un instant détruit par le poids supérieur de cette popularité ; j’avais toujours cru que les instincts honnêtes du peuple résisteraient à l’ingrate prédilection du pouvoir pour la Grande-Bretagne. Malheureusement la politique extérieure du dernier gouvernement nous avait déjà aliéné la France ; elle avait suscité dans ce pays une réaction contre nous, et cette réaction a sur l’esprit de nos concitoyens des effets qui suppléent à ceux que produisait autrefois la popularité de Washington. Ces effets se sont manifestés d’une façon bien sensible dans plusieurs élections, et c’est ce qui explique pourquoi la majorité républicaine se trouve affaiblie dans le congrès. Quand sera-t-elle renforcée ? Cela dépend des événemens, et il est si impossible de les calculer, que je regarde l’avenir de nos institutions comme tout à fait problématique. »

Les événemens vinrent porter un coup terrible au parti républi-