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sociétés démocratiques, et à Madison de ne l’avoir point follement bravée pour les défendre. Lui qui avait suggéré à ses amis la prudente évolution dont M. Genêt avait été la victime, il les blâmait vertueusement d’avoir renié de compromettans auxiliaires et de s’être rangés du côté du pouvoir pour ne point se séparer de la nation. N’ayant plus à répondre de la conduite du parti républicain, il se préoccupait beaucoup plus de l’exciter que de le diriger, de le pousser en avant que de lui épargner les faux pas. L’important était de troubler l’état, même au risque de froisser passagèrement l’opinion : de petites réactions au profit du pouvoir ne pouvaient empêcher les fédéralistes de s’user dans la lutte contre le désordre. Ils se retranchaient derrière la constitution et le président, les deux principaux objets du culte populaire : il fallait les poursuivre jusque dans l’arche sainte. Il n’y avait pas grand mal à mettre au néant les dispositions de la loi fondamentale qui tournaient à l’avantage des ennemis de la république, et à enlever un peu de son prestige au grand homme de bien dont les vertus nuisaient à la bonne cause : tâche ingrate, mais que Jefferson entendait réserver aux hommes de peine de son parti. Il était pour lui-même parfaitement décidé à ne jamais passer pour un adversaire de la constitution et de Washington, à ne jamais se mettre en conflit avec ces deux grandes puissances morales. De mauvais bruits couraient-ils sur ses intrigues contre le gouvernement, il s’empressait d’écrire au président pour les démentir, il s’indignait contre les misérables calomniateurs qui osaient transformer ses moindres propos en noirs attentats contre la chose publique, et pour mieux dissimuler sa duplicité, il avouait fièrement l’innocente liberté de ses discours. Le Moniteur en apporta bientôt à Washington un curieux spécimen : se trouvant en querelle avec le gouvernement américain, le directoire crut qu’il était de bonne guerre de révéler ce que l’un des citoyens les plus éminens des États-Unis pensait de Washington et de sa politique. Il fit reproduire dans le journal officiel la lettre suivante adressé par Jefferson à M. Mazzei, diplomate italien fort avant dans sa confidence, quoique fort peu discret : « L’aspect de notre monde politique est bien changé depuis que vous nous avez quittés. À la place de ce noble amour de la liberté et du gouvernement républicain qui nous a fait traverser triomphalement l’épreuve de la guerre, nous avons vu surgir un parti anglais monarchique et aristocratique, qui a pour but avoué de nous donner en substance ce gouvernement anglais dont il nous a déjà imposé les formes. La majeure partie des citoyens reste cependant fidèle à ses principes républicains. Toute la classe des propriétaires fonciers est républicaine, des hommes de talent en grand nombre le sont aussi ; mais nous avons contre nous