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ne serait pas affranchi du joug de Hamilton, tant que la république serait en danger, le libérateur des États-Unis se devrait à lui-même de ne pas remettre en d’autres mains les destinées de la patrie. Du jour cependant où une majorité honnête et républicaine aurait remplacé le troupeau d’agioteurs anglomanes qui donnait des lois à l’Amérique, Washington serait dégagé de tout devoir exceptionnel envers le pays, et il pourrait satisfaire son goût pour la retraite, avant même d’avoir atteint le terme de sa nouvelle présidence. — Tout cela était dit d’un ton à la fois modeste et caressant, trop apprêté pour ne pas être un peu suspect à Washington, mais trop flatteur pour lui déplaire. Il rendait à Jefferson soins pour soins, et tout en évitant de se prononcer sur ses propres intentions à l’égard de la présidence, il lui adressait sur les embarras que ferait naître la désorganisation du cabinet les plus douces confidences : un homme aussi considérable que lui ne pouvait se retirer sans jeter l’alarme dans les esprits et faire croire à un changement de politique ; son département était en effet le département vraiment politique. Le domaine de la trésorerie était bien moins vaste et sa mission moins haute ; on ne pouvait d’ailleurs se passer de lui : il fallait un contre-poids à l’influence de Hamilton. C’était ainsi que Washington répondait aux ménagemens de l’opposition. Elle affectait de ne point s’attaquer à lui et de le regarder comme parfaitement étranger à la politique qu’elle combattait. Il acceptait la fiction sans en être dupe, et, traité en roi constitutionnel par les meneurs du parti républicain, il les traitait à son tour en amis de la couronne qui conservent envers elle des devoirs, même lorsqu’ils ne sont pas de son avis. Aussi se croyait-il le droit de faire appel aux lumières de Madison et de s’assurer son appui en prenant son conseil toutes les fois qu’il y avait un grand acte à accomplir dans lequel la personne du président était en jeu. Seulement il savait rejeter la fiction lorsque les journaux démocratiques en abusaient pour fomenter impunément le désordre et entraver l’action des lois ; il prenait fièrement pour lui leurs attaques, et il le disait à Jefferson avec une fermeté de langage qui intimidait le factieux secrétaire d’état, pas assez néanmoins pour l’empêcher de s’attirer par ses intrigues de plus cruelles mortifications.

Hamilton n’avait jusque-là exercé contre Jefferson aucunes représailles, mais sa patience était à bout. Il prit la plume, et, se cachant à peine sous le pseudonyme de « un Américain, » il révéla au public, dans les colonnes de la Gazette des États-Unis, les scandaleux rapports du secrétaire d’état avec les ennemis de la constitution et du crédit national, le secret appui qu’il prêtait au journal de Fréneau, les subterfuges qu’il employait pour échapper au blâme des honnêtes