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ferson se chargea de faire accepter par ses amis de l’opposition. Il réunit chez lui les principaux meneurs du congrès, et ce fut à sa table que se conclut le marché. Le bill de Hamilton passa, la cité de Washington fut fondée, le démembrement fut évité.

Le triomphe du bill fut pour le secrétaire du trésor un immense succès. Son renom dans le pays, son ascendant sur le congrès, son influence sur l’esprit de Washington en furent considérablement accrus. Dans les chambres comme dans le cabinet, la prépondérance lui appartint. Ce n’était assurément pas pour la lui donner que Jefferson avait accepté l’honneur d’accommoder le différend. Aussi, quand il en vint à découvrir toute la portée du service qu’il avait rendu à Hamilton, le dépit d’avoir étourdiment contribué à grandir son collègue lui gâta-t-il tout le plaisir d’avoir été utile à son pays. « J’ai été en cette occasion la dupe d’Hamilton, écrivait-il deux ans plus tard au président ; de toutes les erreurs de ma vie politique, c’est celle qui m’a occasionné le plus amer regret. » Mais au moment de l’adoption du bill sa jalousie sommeillait encore, et il était tout entier à la joie et à l’espérance. « Voilà les embarras écartés, je ne vois rien maintenant qui puisse engendrer une lutte d’états à états… Le congrès s’est séparé après avoir retrouvé l’harmonie qui avait caractérisé ses délibérations jusqu’à ces deux malencontreuses questions de la dette et de la résidence… On ne prévoit point qu’il puisse se produire désormais de questions aussi fertiles en dissensions… Les amis du gouvernement espèrent que, cette difficulté une fois surmontée dans les états, tout ira bien. » Les amis du gouvernement se trompaient, et Jefferson avec eux. La pacification n’était qu’apparente. La session terminée, l’agitation se prolongea dans le pays. Le public avait vaguement l’instinct que la querelle financière n’était que le prélude d’une longue guerre entre des principes et des intérêts opposés. On se groupa, on s’excita en vue de la prochaine campagne. La Virginie resta le foyer d’une opposition de jour en jour plus ardente. Le 26 novembre 1790, Jefferson en parlait encore avec un aigre dédain : « Le gouvernement est trop fort pour avoir à s’en inquiéter, » écrivait-il à Gouverneur Morris. Cependant dès le 4 février 1791 tout était changé à ses yeux : c’était l’opposition qui était trop forte pour que le gouvernement n’eût pas à lui céder. « Qu’on ait raison ou qu’on ait tort en théorie, on devrait tenir plus de compte de l’opinion générale, » écrivait-il à Mason, et, afin de joindre l’exemple au précepte, il remettait au président une note pour prouver que l’établissement d’une banque nationale, proposé par le secrétaire du trésor et voté par le congrès, n’était pas constitutionnel. Ce fut son premier acte d’hostilité contre Hamilton. À dater de ce jour, Jefferson fut dans le cabinet le représen-