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de l’opposition radicale entre leur œuvre et son plan, qu’à la fin de sa carrière, il prétendait encore le retrouver au fond de la constitution, le donner pour base à l’interprétation des passages douteux, et l’invoquer pour contester au gouvernement fédéral le droit de faire des canaux et des routes. « La clé des attributions de nos divers gouvernemens, c’est le fait que voici : au gouvernement fédéral ont été remis tous les pouvoirs extérieurs et fédéraux, aux états tous les pouvoirs purement domestiques… Le gouvernement fédéral est, à vrai dire, notre gouvernement diplomatique ; le gouvernement des affaires étrangères est le seul qui ait été enlevé à la souveraineté des états pris individuellement. » Mais ce qui était devenu en 1824 le symbole intolérant d’un vieux chef de parti n’était en 1789 que la théorie indulgente d’un aimable philosophe, ne demandant aux autres que la liberté de penser à sa guise et de ne s’enrôler sous aucune bannière. « Je n’ai jamais soumis, écrivait-il alors, l’ensemble de mes opinions soit religieuses, soit politiques, soit philosophiques, au symbole d’un parti, quel qu’il fût. Une semblable soumission est un véritable avilissement pour un agent moral et libre. Si je ne pouvais aller au ciel sans un parti, je n’irais pas du tout. »

Raffinement de spectateur que Jefferson devait vite oublier dans l’action ! Il se faisait trop tôt mérite d’une vertu qui n’avait pas été mise bien sérieusement à l’épreuve. Les grands partis qui devaient se disputer le gouvernement de l’Union n’étaient pas encore constitués. Tant que l’activité politique du pays avait manqué de centre, leurs élémens étaient restés épars et disséminés comme les pouvoirs publics ; tant qu’il n’y avait eu que des gouvernemens locaux, il n’y avait eu que des partis locaux. Le vote sur le projet de constitution soumis au peuple des États-Unis par la convention de Philadelphie avait, pour la première fois depuis le triomphe de la cause de l’indépendance, divisé la nation tout entière en deux camps opposés. Les défenseurs de la ratification avaient pris le nom de fédéralistes et donné à leurs adversaires celui d’anti-fédéralistes, les deux partis s’étaient combattus avec acharnement ; mais la constitution votée, ils s’étaient débandés. Formés en vue d’une seule bataille, ils n’avaient point encore reçu la forte organisation de ces armées permanentes qui seules sont capables de survivre à la victoire ou à la défaite. Leur lutte avait laissé des traces profondes dans les esprits, mais sans les classer définitivement. Si la plupart des anti-fédéralistes se montraient enclins à entrer en opposition systématique avec le gouvernement que la constitution avait créé, beaucoup d’entre eux se ralliaient loyalement à lui. Si la plupart des fédéralistes de la veille étaient décidés à soutenir et à fortifier