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ment rétribué que partout ailleurs, il n’en est pas moins, pris en masse, dans une infériorité pécuniaire qui, mal appréciée, le dégrade. Cette infériorité se complique et s’aggrave de tout ce qui met le prêtre de pair avec le commun des hommes. Célibataire, il n’en subirait pas aussi durement les conséquences, soit parce que son salaire serait presque partout suffisant, soit aussi parce que sa maison, moins transparente, l’abriterait mieux contre les investigations médisantes et méprisantes auxquelles il est. évidemment exposé. Marié, il est plus pauvre, et sa pauvreté se révèle à plus de regards. Nous revenons ainsi, par d’autres chemins, à la conclusion qui nous était suggérée tout à l’heure.

Cette conclusion, nous ne la sentirions pas aussi sûre, étayée simplement par des récits qui, si fidèlement minutieux qu’ils puissent être, ne sont après tout que des inventions romanesques ; mais si nous nous avisons, — ce qui est une assez bonne méthode critique, — de contrôler le roman par les témoignages les plus authentiques de la vie réelle, nous arrivons exactement au même résultat. Ainsi, pour ne parler que de faits tout récens, on vient de voir, aux assises de Glocester, condamner un ecclésiastique de quelque renom dans les circonstances suivantes. Marié fort jeune à une fille de rang inférieur (oserons-nous dire qu’elle était la bar-maid ou demoiselle de comptoir d’une taverne connue ?), il vivait avec elle depuis des années, heureux père d’une famille nombreuse, ministre bien renté d’une paroisse populeuse et riche. Sa femme un jour, pénétrée d’une tristesse dont il n’avait jamais pu deviner la cause, tombe à ses pieds et lui révèle qu’à l’époque de son mariage, séduite par un des jeunes commis attachés à l’établissement où il l’avait connue, elle était déjà indigne de devenir la femme d’un honnête homme. Elle lui avoue encore que depuis elle a cédé aux obsessions de son séducteur, et que, déjà mère de famille, oubliant tous ses devoirs, elle a trahi la confiance de son mari, méconnu ses bontés et son dévouement. Des années s’étaient écoulées depuis cette dernière faute sans effacer le remords qu’elle en éprouvait. En face de ces aveux presque inexplicables, M. Smith, saisi d’une colère aveugle, d’un ressentiment qui n’admet pas le pardon, ne se souvient plus qu’il est prêtre. Le repentir de sa femme l’a touché ; mais du complice qu’elle lui dénonce il veut tirer une vengeance cruelle. Nouant alors, avec une persistance qui l’a perdu, les fils d’une odieuse intrigue, il dicte à sa femme, non pas une, mais deux ou trois lettres par lesquelles, se disant veuve, elle convie à un nouveau rendez-vous son ancien amant, devenu veuf, lui aussi. Cet homme, indifférent d’abord, cède enfin à ces instances réitérées, et se trouve ainsi attiré dans un lieu désert, où le mari outragé,