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palpitant, le regard noyé de larmes. — Un baiser, lui dit-il, avant la séparation! — Et le saint baiser est accordé, comme une promesse suprême, baiser de fiançailles échangé sur le seuil du tombeau.

Pour faire mieux comprendre la donnée fondamentale de ce dernier récit, nous avons dû détacher les principaux personnages des groupes nombreux parmi lesquels ils se meuvent. C’est ainsi que sont restés de côté les profils des dévotes de Milby, esquissés avec une remarquable finesse. Il faut bien y revenir cependant, ne fût-ce qu’en peu de mots, pour ne pas omettre un des traits les plus caractéristiques de ces tableaux de mœurs. Parmi ces dévotes, vouées presque toutes, depuis plus ou moins de temps, à un célibat plus ou moins irrémédiable, on nous en montre plusieurs pour lesquelles Tryan n’est pas seulement un serviteur de Dieu, mais aussi un beau jeune homme blond, aux lèvres vermeilles, à la voix sonore, et qui exerce sur elles une influence tout à fait indépendante du sentiment religieux. Si elles adoptent avec enthousiasme ses doctrines bien ou mal interprétées, si elles prêtent un concours zélé à ses bonnes œuvres bien ou mal appréciées, il est clair, — c’est M. George Eliot qui l’affirme, et nous ne pouvons que reconnaître à cet égard son incontestable compétence, — il est clair que certaines arrière-pensées, mieux définies ou plus vagues suivant l’âge et le caractère de chacune, sont au fond de cette piété tant soit peu complexe. La conversion de Janet, le courage qu’elle puise dans les entretiens du jeune ministre, ne dérivent-ils pas de la même source? On est tenté de le croire, et de tous ces aperçus finement indiqués, une impression générale demeure qui n’est pas précisément très favorable à cette interprétation particulière du dogme chrétien par laquelle est autorisé le mariage du prêtre. De tous les ministres que M. George Eliot nous montre l’un après l’autre, un seul répond à l’idéal de quasi-perfection que nous cherchons dans ces représentans de l’autorité divine, — et celui-là n’est pas marié. Un autre, nous l’avons vu, est le type de la médiocrité souffreteuse aux prises avec des misères mesquines; inspirant plus de pitié que de respect, il traîne après lui une famille dont il ne peut assurer l’existence précaire, une compagne qu’il laisse littéralement mourir à la peine, usée par les anxiétés, les privations et les fatigues. Le malheureux Amos Barton, servant ainsi de complément à la démonstration, semble inventé tout exprès pour corroborer l’opinion qu’on a pu concevoir à propos de Tryan.

Un autre trait de la condition sacerdotale en Angleterre vivement relevé par le livre qui nous occupe, c’est l’anomalie flagrante qui résulte de la situation matérielle faite au clergé. Plus riche-