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se succéder, celui-ci, buveur trop indiscret, se querellait aussi trop souvent avec sa femme; les doctrines de celui-là, par trop avancées, frisaient les limites de l’antinomianisme ; un troisième, fort à la mode dans les districts miniers, le prédicateur favori des houillères et des forges, s’adonnant à la poésie, adressait trop souvent ses vers aux jeunes ladies de sa communauté. En somme, la chapelle libre restait à moitié vide, et dans le temple officiel, plus assidûment fréquenté, on ne voyait que belles dames étalant leurs toilettes, jeunes gens attirés par cette exhibition hebdomadaire; en somme beaucoup de tiédeur, beaucoup de légèreté, une soumission purement matérielle aux observances du culte, tous les indices d’une tradition qui se perpétue, s’affaiblit, et va se perdant peu à peu, comme certains fleuves s’absorbent, sur la fin de leur cours, dans des sables muets.

C’est alors qu’en un pauvre faubourg exclusivement habité par la population ouvrière de Milby un jeune ecclésiastique vient s’établir. Il est de bonne famille, riche, et d’un extérieur distingué. C’est pourtant chez une pauvre veuve qu’il a élu domicile. Misérablement meublée, sa chambre, disons mieux, sa cellule, n’offre aucune ressource, ni d’agrément, ni de bien-être. Au surplus, il n’y vit guère. C’est la tente où, le soir, il vient reposer sa tête. La journée entière est employée aux bonnes œuvres, à la propagande infatigable. Tryan, — c’est son nom, — appartient à cette école dite évangélique, dont Venu fut, il y a quelque trente ans, l’un des principaux promoteurs, — école dont nous n’avons pas à exposer le dogme particulier, mais à constater seulement et le succès passager, et le déclin. Comme tant d’autres tentatives du même ordre, plus fréquentes chez les protestans, mais qui se sont produites même au sein de l’unité catholique, elle a fait un certain bruit, soulevé beaucoup de polémiques, produit un peu de bien, et servi en définitive à la manifestation de quelques rares vertus, de quelques dévouemens exceptionnels.

L’évangélisme, introduit ainsi à Milby, fait peu à peu son chemin, des rangs inférieurs montant plus haut, s’élevant des ouvriers tisserands aux bourgeois, qui constituent, à vrai dire, la seule aristocratie de la cité marchande. Là il rencontre des résistances. Tryan, jusqu’alors confiné dans une chapelle banale (chapel of ease), où ses prédications se trouvent comme isolées et restreintes, s’adresse au recteur pour obtenir le droit de faire dans l’église paroissiale une instruction du soir. Cette démarche est le premier signal des hostilités. La ville s’émeut, se partage. Il y a des tryanites et des anti-tryanites. Ces derniers appartiennent à la portion la moins religieuse de la communauté; usant néanmoins d’une tactique assez vulgaire, c’est au nom de l’orthodoxie, et au nom du vieux ministre