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devant le feu, de poser sa tête sur les genoux d’Amos, et de sentir sur sa tête la main du pauvre homme.

Aussi, lorsque le printemps revint, l’amertume n’était plus la même. Il s’y mêlait au moins quelques bons sentimens de reconnaissance, et aussi un retour de confiance, plus ou moins légitime, dans un mérite auquel on semblait enfin rendre justice... C’est justement alors qu’arrive une lettre de M. Carpe, le curé titulaire, intimant au pauvre Amos qu’en vertu de la clause résolutoire insérée dans leur traité, M. Carpe entend venir administrer lui-même la paroisse de Shepperton. En conséquence, après un délai de six mois, le délégué devra cesser ses fonctions. Et pourquoi ce parti si soudainement pris par cet impitoyable curé? Simplement parce qu’il a un beaufrère à placer, que Shepperton convient à ce beau-frère, et qu’après en avoir expulsé le pauvre Barton, la nouvelle dévolution de sacerdoce deviendra chose toute simple.

Cy fine, comme disaient nos aïeux, cy fine la tragi-comédie des Infortunes d’Amos Barton[1]. Il nous faudra quitter Shepperton et aller jusqu’à Milby, la ville voisine, si nous voulons assister à d’autres luttes, à d’autres souffrances, à d’autres martyres d’un ordre plus relevé.

Milby est la ville manufacturière, sans repos et sans charme, sise en pays plat et prosaïque, où l’esprit religieux s’est endormi, étouffé sous les préoccupations industrielles et le culte du make-money. Le pasteur officiel, vieilli sous le harnais, casanier, routinier, gardant le plus clair du peu d’activité qui lui reste pour les jeunes pensionnaires qu’il prépare aux examens de Cambridge ou d’Eton, laisse son troupeau dévaler sur les chemins battus. Il n’en est ni moins considéré, ni moins aimé pour cela. On lui tient compte de son obligeance, de son hospitalité facile, de son indulgence, qui vraiment lui coûte peu. Il est d’ailleurs au pair avec ses émules. Les cultes dissidens ne lui font aucune concurrence périlleuse. Les anabaptistes, fort endettés, en sont réduits à sous-louer la moitié de leur chapelle à un marchand de soieries. Il faudrait, pour trouver quelques specimina méthodistes, fouiller les recoins les plus obscurs des ruelles les plus fangeuses, des faubourgs les plus écartés. Les indépendans eux-mêmes, dont la chapelle, appelée Salem, brille, dans la grande rue, de tout l’éclat de ses briques rouges, bien qu’ils comptent dans leur congrégation quelques censitaires riches et bien famés, n’ont pas su prendre, — malheureux dans le choix de leurs ministres électifs, — un ascendant marqué, une puissance réelle de propagande. De ces prédicateurs que Salem a vus

  1. The sad Fortunes of the Rev. Amos Barton.