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côté, sur un nécessaire, un panier à ouvrage dans lequel s’est jauni un petit bonnet d’enfant, travail inachevé. Deux robes d’une forme ancienne pendent à des clous contre la porte, et au pied du lit on entrevoit deux petites pantoufles rouges, où est resté attaché un débris de broderie d’argent. Deux ou trois aquarelles, — des vues de Naples, — décorent les murs, et sur la cheminée, parmi quelques échantillons de porcelaines rares, on remarque deux miniatures dans des cadres ovales. L’une représente un jeune homme, visage haut en couleurs, lèvres fortes, bons yeux gris, pleins de candeur; l’autre, une jeune fille de dix-huit ans tout au plus, traits mignons, joues amaigries, teint pâle où le midi se révèle, grands yeux noirs comme on en voit sous la toile mobile des verandahs italiennes.

De ces deux portraits, — on l’a déjà deviné, — le premier est celui de M. Gilfil. Et le second?... Le second est celui de cette jeune femme qu’il amena, radieux de bonheur, quand il vint s’établir à Shepperton. Elle y fit sensation avec ses grands yeux noirs, sa physionomie mélancolique et sa magnifique voix, qui au temple vibrait par-dessus toutes les autres... Jeune, belle, adorée et heureuse en apparence de l’hymen qui l’unissait à Gilfil, heureuse de l’enfant qui allait bientôt cimenter cette union bénie du ciel, elle mourut pourtant, tige frêle atteinte en sa racine et trop faible pour suffire à l’épanouissement de sa première fleur.

Que si maintenant vous voulez savoir par quelles épreuves avait passé Caterina Sarti, — ainsi se nommait mistress Gilfil; — comment, fille d’un pauvre musicien toscan et recueillie par charité sur le lit de mort de son père, elle suivit en Angleterre sir Christopher et lady Cheverel, devenus ses seuls protecteurs; — comment elle grandit, à Cheverel-Manor, à côté de Maynard Gilfil, pupille de sir Christopher; — comment Gilfil s’éprit d’elle et comment elle lui préféra un fat égoïste, le neveu et l’héritier de la maison; — comment elle fut trahie, et par cette trahison même rendue au fidèle amour de son compagnon d’enfance, — allez chercher dans les Scenes of Clérical Life ce récit fort bien fait et fort pathétique. Nous restons, nous, à Shepperton, autour de la vieille église.

Quand M. Gilfil fut enlevé à ses paroissiens, un deuil sincère et de longs souvenirs attestèrent l’affection qu’il avait su leur inspirer. M. Parry, son successeur immédiat, ne le fit pas oublier, et cependant, au dire des connaisseurs, celui-ci « avait le don, » c’est-à-dire que, sachant sa Bible sur le bout du doigt, il pouvait improviser deux heures durant sans reprendre haleine, puissance de jet continu qui fascine aisément le vulgaire. Aussi les ouvriers des houillères environnantes, que Gilfil avait trouvés rebelles, commençaient-ils à prendre quelque intérêt à ces tours de force évangéliques,