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phitryon laissa quelques plumes de son aile, — et dont il fut parlé dans tout le pays. Gilfil était déjà populaire : il le fut bien davantage quand on sut qu’il avait « brossé à rebrousse-poils » l’orgueilleux squire, par trop enclin à se targuer de ses charités mesquines.

Les bons fermiers aimaient sa théologie, d’autant mieux qu’il ne les ennuyait point par de longs offices. Ménager de son temps et du leur, il ne les retenait pas plus longtemps que de raison dans ces stalles de vieux chêne où il les voyait s’engourdir peu à peu dès que la prière ou le sermon passait la limite ordinaire. Ils étaient venus de loin, bravant la pluie et les ornières des chemins boueux; ils avaient à retourner chez eux par les mêmes chemins et sous la même pluie. Fallait-il leur infliger en sus une homélie éternelle? Avec M. Gilfil, nul excès d’éloquence; ses sermons étaient sur son bureau, entassés un peu pêle-mêle et jaunis par le temps. Il les prenait là, deux par deux, comme cela se trouvait, le dimanche matin, et les fourrait dans sa poche. Après en avoir prêché un avant midi à Shepperton, il montait à cheval et prêchait l’autre le soir à Knebley, car il desservait aussi l’église de Knebley, qui était en quelque sorte la chapelle seigneuriale de Knebley-Abbey, le manoir des Oldinport. Du reste, à Knebley comme à Shepperton, les sermons de Gilfil étaient hautement appréciés. Qu’on les écoutât ou non, — ce point reste douteux, — on n’en répétait pas moins, au sortir du temple, la formule consacrée : Le ministre a joliment prêché ! Comment les fermiers auraient-ils douté un seul instant d’un homme qui dissertait si pertinemment sur la race courtes-cornes, sur les méthodes agronomiques, et sur la mercuriale des foires et marchés? Trouver à dire à une homélie de Gilfil!... autant aurait valu s’attaquer à la religion elle-même. Il arriva cependant qu’un étourneau de la ville, neveu d’un riche fermier, se déclara prêt à écrire un sermon tout aussi bon que ceux du révérend ministre. L’oncle du jeune présomptueux, voulant lui rabattre le caquet, paria un souverain qu’il n’en viendrait pas à bout. Le sermon fut composé, et véritablement rien n’y manquait d’essentiel. La ressemblance promise était frappante, le texte, l’exorde, les trois divisions et l’exhortation finale : d Maintenant, mes frères... » L’impudent Tom Strokes gagna sa guinée; mais elle ne lui fut payée que sous réserves. Au fond, l’oncle Hackit n’aurait jamais admis que ce jeune drôle pût atteindre au niveau de M. Gilfil.

D’un autre côté, à en croire le révérend M. Pickard, le pasteur des indépendans, le ministre de Shepperton était « dans les ténèbres, » et les paroissiens qui se contentaient de sa doctrine étaient des gens qui, à pareils à des Français (Gallio-like), » n’attachaient pas grande importance à leur nourriture spirituelle. Toutefois les