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ples galeries qui font aujourd’hui le tour de l’édifice, soutenues par des piliers de fonte, n’existaient pas encore, ni ces banquettes, entre lesquelles on circule à l’aise, ni ce bel orgue, à peu près au complet, à peu près d’accord, sur lequel un collecteur de fermages, musicien par occasion, exécute çà et là quelque gloria facile, quelque menuet sanctifié. Sur les toits, l’ardoise a remplacé la tuile, et la grosse tour carrée a reçu, du côté du couchant, une cuirasse écaillée, qui la défend des pluies et promet quelques années de plus à sa longue vieillesse. On ne voit plus aux fenêtres, hétérogènes de forme, irrégulières d’alignement, ce mélange original de vitraux incohérens qui les déparait naguère, et les enfans des écoles ne grimpent plus à leur tribune par l’escalier de bois tant bien que mal plaqué à l’extérieur de l’édifice. Le sanctuaire n’a plus à l’entrée ces deux petits chérubins, sentinelles immobiles, que le mur d’un côté, l’arc-boutant de l’autre, tenaient dans une position si contrainte, et il n’est plus orné des écussons de la famille Oldinport, — la grande famille du district, — énigmes héraldiques dont les mains sanglantes, les croix de Malte, les griffes de léopard, les têtes de mort et les os en sautoir intriguaient les imaginations plébéiennes. L’église de Shepperton a gagné en propreté bourgeoise, en commodité d’aménage- ment; en revanche elle a perdu de sa poésie.

Elle avait alors pour desservant le révérend M. Gilfil, dont la vie a laissé de longs souvenirs, et la mort d’universels regrets. Qui n’aurait aimé ce brave et avenant vieillard, si franc du collier, si compatissant aux misères, et qui avait toujours un mot joyeux à échanger avec le plus humble de ses paroissiens? On se souvenait de l’avoir vu jadis suivre les chasses les plus longues, et son cheval noir avait été fameux dans le pays. Plus tard, ce cheval noir s’était transformé en un bon courtaud alezan, sur lequel le ministre arpentait gaillardement le pays, allant de ferme en ferme discuter les questions d’agriculture et recueillir les nouvelles d’un chacun. Il avait de bons et beaux prés au soleil, M. Gillil, et les faisait soigner par un homme à lui, d’après ses idées. Bienveillant et doux envers les simples paysans, familier avec la classe moyenne, dont il savait fort bien commander le respect, tout en parlant le patois des fermiers, en buvant leur ale et en acceptant les petits cadeaux de la ménagère, oie de Noël ou gâteau des Rois, Gilfil tenait son rang vis-à-vis de l’aristocratie. Rarement il acceptait ses invitations; mais quand il dînait chez les Oldinport, c’était en vrai gentleman de la vieille école qu’il offrait son bras à la châtelaine, et qu’il lui tenait tête durant tout le repas, plein de petits soins et jamais à court de propos fleuris. Quant au châtelain, ils étaient, Gilfil et lui, sur la réserve depuis certaine escarmouche où le riche am-