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au contact de l’âpre et misérable réalité, — qui se prosternent en extase devant les magnificences de l’autel, et n’en lèvent que mieux les épaules quand ils entrevoient les misères de la sacristie ; — esprits poétiques auxquels la mesquinerie, le terre-à-terre, la trivialité répugnent, et pour lesquels, — de même qu’on avait trouvé naguère, annonce séduisante, une médecine sans médecin, — il faudrait inventer une religion sans prêtre. Ainsi doué, ainsi prédisposé, ce témoin nous convient mieux que tout autre. Il offre à la fois des garanties de clairvoyance et des gages d’impartialité. Il n’est pas de ces gens dont parle Thackeray, qui ne vont pas à l’église et prétendent médire de ce qui s’y passe. Il n’est pas non plus de ceux qui portent dans leurs critiques l’aveuglement de toute passion hostile. Enfin, ce qui est rare en Angleterre tout aussi bien que chez nous, quoique religieux, il n’a pas l’étroitesse de vues qui enfante ou qu’enfante l’esprit de secte, et partout où il rencontre l’inspiration vraiment chrétienne, le fonds, l’essence immuable de la doctrine rédemptrice, il fait assez bon marché des divergences d’interprétation théologique. Épiscopal, presbytérien, indépendant, il admet votre évangile, pourvu que cet évangile ne diffère pas essentiellement de celui du Christ[1], et son type idéal de ministre protestant ressemble merveilleusement, on pourra plus tard s’en convaincre, à quelques-uns de nos prêtres catholiques ; ceci soit dit sans l’accuser de puseyisme. Tel est M. George Eliot, dont les récits, publiés d’abord dans le Blackwood’s Magazine, ont eu un succès assez retentissant pour mériter les honneurs d’une réimpression, hautement approuvée par les critiques les plus compétens. Après avoir constaté sommairement le mérite général de ce livre, nous allons lui demander quelques détails sur l’existence faite en Angleterre au clergé de province.

Shepperton est un village. Sa vieille église, réparée depuis et remise à bien, tombait en ruines, ou peu s’en faut, il y a vingt-cinq ans. On n’y voyait pas alors ce beau portail en chêne verni, ni ces portes intérieures, tendues de flanelle rouge, qui tournent silencieusement et respectueusement sur leurs gonds bien huilés. Les lichens grisâtres montaient librement aux murailles. Ces am-

  1. Cet esprit de tolérance se rencontre maintenant un peu partout. Dans les intéressans voyages du missionnaire Livingstone, nous en trouvons un témoignage inattendu. L’évêque portugais de Saint-Paul de Loanda, le voyant arriver rongé de fièvre en cette cité catholique, lui prodigue tous les soins qu’il eût pu donner à un prêtre de sa croyance. Puis, ayant à s’expliquer sur la différence de leurs religions, « il comparait, dit Livingstone, les différentes sectes de chrétiens sur le chemin du ciel à un grand nombre d’habitans de Loanda passant par différentes rues pour arriver à une des églises. Au bout du compte, tous se rencontrent au même point » Missionary Travels in South Africa, p. 393-394.