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ment parfait chaque mot contenu dans la lettre de Desderaona, et, dans l’andante qui suit :

Nò plu crudel un’ anima,
Nò che giamm’ ai si vide?


les sanglots de la douleur étouffent sa voix. Avec quelle émotion profonde et touchante il dit aussi la phrase incomparable :

Il cor mi si divide,
Per tanta crudeltà!


Comme cela est humain, beau de forme, et pourtant dramatique ! Que dire des pauvres esprits qui ont osé méconnaître de pareilles beautés? Dans l’allegro de ce même duo, M. Tamberlick lance avec vigueur le rhythme baldanzoso qui traduit le sens de ces paroles : l’ira d’averso fato. Après avoir dit simplement d’abord le passage qui suit :

Morrò, ma vendicato
Si dopo lei morrò,


à la seconde reprise il s’élance du fa dièse qui forme une sorte de demi-repos, et frappe successivement et avec vigueur sol dièse, puis ut dièse, qui ressort, dans le fond gris qui constitue le timbre de la voix de M. Tamberlick, comme une éclaircie dans un ciel bleu et transparent. Cette note prodigieuse est à la fois douce, forte et très musicale. C’est incontestablement la plus belle corde du clavier de M. Tamberlick. Dans le trio avec Rodrigo et Desdemona, et surtout dans la scène finale, d’une si belle terreur, M. Tamberlick a été à la hauteur de la musique et de la situation. Il m’a rappelé Garcia par la manière large dont il chante le récitatif, faisant ressortir le moindre accent de cette belle déclamation, plus musicale que celle de Gluck et d’une vérité plus moderne.

On assure que M. Tamberlick doit la belle prononciation qui forme une des qualités précieuses de son talent, qu’il doit le style ample et le large horizon qu’il sait imprimer à la phrase musicale, aux conseils de Giacomo Guglielmi, fils du compositeur illustre qui a été le rival de Cimarosa et de Paisiello. Giacomo Guglielmi fut un chanteur de mérite, un ténor qui vint à Paris en 1809, où il débuta dans un opéra de son père, la Serra innamorata. Après une carrière dramatique d’assez courte durée, Guglielmi quitta le théâtre pour se livrer à l’enseignement. C’était un maître soigneux, me disait une personne de goût qui a profité de ses conseils, un professeur de chant imbu des principes de la vieille école italienne, dont il avait la tradition. Il avait pu entendre les plus grands chanteurs de la fin du XVIIIe siècle, tels que David père, Ansani, Babbini, Viganoni, les sopranistes Marchesi, Crescentini, et il fut le contemporain d’une génération de virtuoses non moins, remarquables qui ont aidé à l’éclosion du génie de Rossini. M. Tamberlick nous prouve une fois de plus que l’ancienne école italienne, sur laquelle les ignorans ont débité tant de sottises, était non moins préoccupée de la belle déclamation que de l’art de bien dire un cantabile et d’approprier le style à la nature des caractères et des situations. On n’avait pas besoin de l’exemple éclatant de Mme Ristori et de Salvini pour savoir que les