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mocratie qui reconnaît l’égalité des droits, mais celle qui reconnaît l’égalité de pouvoir entre tous les hommes, celle qui abolit tout privilège, toute hiérarchie, toute richesse. Pour établir ce christianisme, c’est à l’état et non à l’église qu’il faut nous adresser. L’erreur du genre humain a été de maintenir jusqu’à présent une distinction entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel : les deux pouvoirs doivent enfin être réunis. L’état est la seule église, et c’est lui seul qui doit établir cette absolue démocratie chrétienne que l’église n’a pas voulu ou n’a pas su établir. M. Brownson était arrivé au communisme le plus complet.

Quand il fut au fond de cet abîme, il s’y sentit mal à l’aise, et désira s’en tirer. En réalité, c’était toujours son ancien rêve d’une nouvelle religion qu’il poursuivait dans cette doctrine de l’union des deux pouvoirs. Il appelait maintenant état ce qu’il appelait autrefois église ; il n’y avait que les noms de changés. Une réflexion se présenta subitement à sa pensée. L’homme peut-il créer une religion ? Le sentiment religieux naturel à l’homme a-t-il en lui-même la puissance de s’objectiver, de se créer des formes extérieures ? Cette réflexion le conduisit à s’interroger, pour la première fois de sa vie, sur le principe de nos connaissances. Qu’est-ce que notre raison ? Est-elle divine ? est-elle humaine ? Les idées qui la composent nous sont-elles personnelles ou impersonnelles ? Dans tous les livres de philosophie moderne et jusque dans M. Cousin, qu’il consulta sur ce point, il trouva les traces de la doctrine de Kant. Partout on lui enseignait que la raison était subjective, créait son objet, ou l’apercevait non en lui-même, mais dans le miroir de la conscience. La forme de la pensée était la relation qui unissait l’objet et le sujet. Cette théorie l’embarrassa fort, comme elle en a embarrassé tant d’autres. Dans cette perplexité, il lut les livres de Pierre Leroux, et il y trouva que la pensée est une synthèse résultant de deux facteurs qui agissent simultanément et spontanément. Le sujet et l’objet sont exprimés aussi complètement l’un que l’autre dans la même pensée : l’objet et le sujet sont donc à la fois distincts et unis ; ils affirment également leur existence par la même pensée. Cette découverte combla de joie M. Brownson : donc si l’objet de la raison est Dieu, Dieu est distinct de la raison. Ainsi c’est un panthéiste qui lui a fourni le point de départ de sa conversion, et qui lui a fait retrouver le dogme de la personnalité divine et de la Providence.

Une fois en veine de dialectique, il ne s’arrêta plus. Le sujet et l’objet sont distincts et unis à la fois ; Dieu et l’homme sont en communion, pour employer l’expression de M. Leroux. Ce Dieu ne peut être l’humanité, comme le dit ce philosophe, car être en communion avec l’humanité, qu’est-ce, sinon être en communion avec moi-même ? Nous sommes en communion avec l’humanité à travers