Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mina, car, ainsi que nous l’avons déjà observé, il n’a aucune prédilection pour la métaphysique. Toutefois le principe sur lequel s’appuyait l’éclectisme le préoccupa beaucoup. M. Cousin, reprenant cette pensée de Leibnitz que les systèmes sont vrais dans ce qu’ils affirment, faux dans ce qu’ils nient, admettait que les diverses doctrines philosophiques n’étaient fausses que parce qu’elles étaient exclusives. Pourquoi ne jugerait-on pas les religions d’après le même principe que les philosophies ? On verrait ainsi ce qu’elles ont de vrai par ce qu’elles affirment, ce qu’elles ont de faux par ce qu’elles nient, et l’on pourrait arriver à la conception d’une unité supérieure qui réconcilierait le christianisme avec lui-même. Que niaient et qu’affirmaient le catholicisme et le protestantisme ? Le catholicisme était fondé sur un principe spirituel, et n’avait en vue que la vie future ; le protestantisme au contraire n’avait en vue que la vie terrestre. Or que disaient précisément Henri Heine et l’école saint-simonienne ? L’homme a un corps aussi bien qu’une âme, et l’erreur du christianisme a été de séparer la chair de l’esprit. Le divorce a trop longtemps duré, et il faut qu’une nouvelle religion rétablisse enfin l’harmonie de la nature humaine. Fort de l’appui du saint-simonisme, M. Brownson prêcha pendant quelque temps l’union du catholicisme et du protestantisme, dans lesquels il eut le tort de voir les deux principes ennemis dont M. Enfantin demandait la réconciliation. L’étude du saint-simonisme, loin de l’éloigner du catholicisme, l’en rapprochait. Le saint-simonisme reconnaissait la nécessité d’un culte visible, d’une hiérarchie sacerdotale, d’un pouvoir souverain et infaillible. Qu’enseignait de plus le catholicisme ? Et s’il fallait absolument accepter l’autorité d’un suprême pontife, pourquoi pas celle du pape aussi bien que celle du prêtre-roi.

Mais l’homme est ondoyant et divers. Après plusieurs années d’efforts sincères pour atteindre à la religion, M. Brownson retomba dans ses anciennes erreurs. Il eut un nouvel accès de fièvre socialiste, plus violent que le premier. Le christianisme s’identifia dans sa pensée avec la démocratie, et Jésus lui apparut comme le premier et le plus grand des démocrates. Ce sont les prêtres, se disait-il, qui ont obscurci cette vérité, et en réalité c’est des prêtres que sont venus tous les maux de l’humanité. Ils invoquent le nom de Jésus, mais Jésus les condamne, car il a protesté contre toute église visible, et c’est de la tyrannie des prêtres qu’il a voulu affranchir l’humanité. Si nous voulons être libres enfin, il faut nous débarrasser des prêtres catholiques ou protestans, peu importe, car tous également sont hypocrites et oppresseurs. C’est le christianisme du Christ et non le christianisme de l’église qu’il faut établir enfin. Or le christianisme du Christ, c’est la démocratie absolue, non la dé-