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cri qui s’élevait de toutes les contrées, et de l’Allemagne, et de l’Angleterre, où Carlyle écrivait le Sartor resartus, et de la France, où retentissaient les prédications saint-simoniennes. M. Brownson n’apercevait près de lui aucun messie, il est vrai; mais il pouvait se rencontrer des précurseurs. Et lui-même, pourquoi n’aurait-il pas été le Jean-Baptiste du messie futur? C’est alors qu’il fit la connaissance de l’excellent docteur Channing. Channing lui sembla poursuivre le même but que lui. Personne ne s’est plus élevé contre la tyrannie du calvinisme, personne n’a rendu plus ample justice à la grandeur du catholicisme, personne n’a plus fait pour élever l’idéal chrétien au-dessus de l’étroit formalisme des sectes. Channing reconnaissait comme également chrétiennes toutes les églises qui se recommandaient du nom du Christ. Il reconnaissait pour ses frères tous les hommes qui pratiquaient l’Evangile du Christ. Il admettait dans son église les hommes bons et sages de toutes les communions. Seulement en dehors de cette large sympathie chrétienne, Channing et les unitaires n’avaient aucune doctrine qui pût soutenir l’examen. Le système de Channing était au fond un mélange du déisme et de l’arianisme. Plus chrétien que philosophe, homme de sentiment plutôt que logicien, il admettait dans le Christ une nature superangélique; mais ceux des unitaires qui étaient plus logiciens qu’hommes de sentiment ne voyaient dans le Christ que le fondateur de la religion chrétienne, qu’un prophète, doué, il est vrai, de vertus divines et peut-être directement envoyé par Dieu, mais entièrement humain, et dont la doctrine n’était pas au-dessus des efforts de la raison. L’unitarisme n’était donc pas une religion, mais il pouvait être accepté comme point de départ d’une religion nouvelle. Il faisait appel à la conciliation, et à défaut d’une unité visible et matérielle prêchait une unité morale et spirituelle. Il n’enseignait pas ce qu’il fallait croire, mais il exhortait à lutter contre l’incrédulité. Il n’en fallait pas davantage à M. Brownson. Il entra dans les rangs de l’unitarisme, et devint l’orateur principal d’une société fondée par lui sous le nom de Société pour le progrès de l’union chrétienne. Le but de cette association était louable et vraiment chrétien. M. Brownson, à défaut d’une religion positive, prêchait la nécessité du sentiment religieux; il travaillait à préparer les cœurs à un réveil moral; il essayait de secouer l’indifférence et l’engourdissement des âmes. Rarement dans le cours de ses longues erreurs il s’est proposé une tâche aussi noble.

Cependant les paquebots transatlantiques apportaient chaque semaine les doctrines et les nouvelles hérésies de l’Europe. Tantôt c’était l’éclectisme, tantôt la religion saint-simonienne, tantôt les brillans pamphlets d’Henri Heine. M. Brownson ne profita guère des doctrines philosophiques de M. Cousin, et c’est à peine s’il les exa-