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ter du premier coup de semblables théories aux Américains du Nord; M. Brownson et les autres disciples de Fanny Wright se bornèrent donc pour le moment à exposer leur plan d’éducation commune par l’état. C’était la portion de leur système à laquelle ils tenaient avant tout, car ils croyaient aussi fermement à la régénération de l’homme par l’éducation qu’un utopiste du dernier siècle. Le mariage libre et la non-propriété n’auraient plus rien d’effrayant pour une génération qui n’aurait jamais connu les vieux préjugés. Nos utopistes, pour mettre leur plan à exécution, s’avisèrent d’avoir recours aux moyens occultes et d’organiser des sociétés secrètes dans toute l’étendue de l’Union. Un commencement d’organisation eut lieu en effet, particulièrement dans l’état de New-York; mais l’expérience ne tarda pas à leur révéler que, si les sociétés secrètes sont redoutables comme engin de destruction, elles sont impuissantes comme instrument d’organisation. Le plan fut abandonné, mais pour être repris sous une nouvelle forme. Sans se décourager, M. Brownson et ses amis essayèrent, sous la direction de M. Robert Owen, de fonder un nouveau parti sous le nom de parti des travailleurs (working mens party). Cette dénomination indique assez le but que se proposait cette bande d’utopistes. Ils voulaient organiser le prolétariat américain de manière à faire contre-poids à la puissance des manufacturiers, à mettre, comme on l’a tenté depuis en Europe, les droits du travail en opposition avec les droits du capital. Cette tentative révolutionnaire fut aussi vaine que la précédente. Les élémens d’une semblable organisation n’existaient pas aux États-Unis. Le système des manufactures y naissait à peine, le prolétariat était par conséquent peu développé; les utopistes s’étaient proposé de guérir un mal imaginaire. En conséquence le parti des travailleurs s’évanouit comme un vain rêve, en laissant M. Brownson désappointé comme toujours et désenchanté plus que jamais.

À ce moment de sa carrière, M. Brownson se sentit de nouveau saisi de la fièvre religieuse. Comment ses plans et ceux de ses amis pour la régénération de l’humanité n’auraient-ils pas échoué? Ils ne s’appuyaient sur aucun principe moral, et ne se proposaient aucun but divin. Une vertu leur manquait, le désintéressement, le sacrifice. On pouvait bien détruire, mais non construire sans religion. Le principe d’utilité et d’égoïsme bien entendu peut régir sans doute la vie individuelle, mais non la vie des sociétés, et encore l’individu ne l’écoute-t-il pas toujours. L’homme est donc une créature plus noble que ne le croyaient les réformateurs qui avaient fourvoyé M. Brownson : on le transporte en lui parlant de dévouement, jamais en lui parlant d’intérêt bien entendu. La religion était par conséquent nécessaire à l’homme, et le sentiment religieux lui était naturel. Cette découverte toute philosophique que