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Et je disais, le cœur plein de trouble et d’émoi :
« O jeunesse, ô piintemps, quand viendrez-vous pour moi ? »
Elle vint, la jeunesse ardemment désirée,
Elle vint, souriante et de lilas parée.
Un matin, j’entendis à l’horloge du Temps
Tinter le carillon qui sonnait mes vingt ans.

Avide de plaisir, d’amour et de folie.
Je me précipitai sans crainte dans la vie.
Comme un enfant qui cueille un bouquet dans les blés
Et qui court sans souci des grands épis foulés.
Oh ! le charmant début et la vermeille aurore !…
Te souvient-il, ami, te souvient-il encore
De ces joyeux soupers où nos éclats de voix
Avec le vent du soir s’envolaient dans les bois ?…
Un jour, l’amour entra par ma porte entr’ouverte ;
C’était au mois de mai, la terre était couverte
De cerisiers en fleurs, de muguets et de nids…
Printemps épanoui, beaux jours, soyez bénis.
Et qu’elle soit bénie aussi, la bien-aimée
Qui deux ans dans sa main tint mon âme enfermée !
Que Dieu, dans cette vie aux détours incertains,
La conduise toujours par les plus frais chemins !
Ah ! c’était le bonheur, quand le soir, à la brune,
Palpitant et tout fier de ma bonne fortune,
Je prenais le sentier qui mène à sa maison :
La lune en souriant montait à l’horizon.
On entendait au loin les rumeurs de la ville ;
Elle, près de sa vitre, attentive, immobile,
Reconnaissant mon pas, accourait sur le seuil,
Puis avec des baisers me faisait doux accueil.
L’amour jusqu’au matin nous berçait sur son aile,
Et nous nous promettions une ivresse éternelle.
Tout finit cependant, en un jour tout sombra,
Le nœud qui nous liait soudain se déchira.
Quoi ! deux ans de tendresse, et puis l’indifférence !
De courts et froids adieux, puis l’oubli morne, immense,
Qui, pareil à la neige aux flocons blancs et lourds.
Tombe en s’épaississant sur nos meilleurs amours !
— Ah ! ce n’étaient pas là ces heures de délice
Qu’autrefois je rêvais, pauvre écolier novice,
Quand j’écoutais, penché sur le mur du jardin,
L’orchestre qui chantait dans le bosquet voisin !…