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démagogues, ils ne sont même pas ce qu’ailleurs on est convenu d’appeler des libéraux ; ils veulent renouer le fil du passé que les libéraux, et le ministère autrichien avec eux, ont violemment rompu, et asseoir une organisation forte et libre sur la base des anciennes institutions historiques. Ils sont d’ailleurs bien décidément le parti du progrès, le parti de la liberté civile et politique, laquelle s’accorde parfaitement avec un gouvernement monarchique et fort.

Le groupe des anciens réformateurs d’avant 1848 dans les provinces austro-allemandes, et en Hongrie une fraction considérable de la noblesse, qui autrefois appartenait à l’opposition libérale constitutionnelle, forment le noyau du grand parti dont nous venons d’indiquer le programme. Autour d’eux se rallient les classes intelligentes et aisées presque sans exception, constituant, il est vrai, par leur nombre même plutôt un public attentif, mais inerte, qu’un parti organisé et actif. Si nos prévisions ne nous trompent étrangement, c’est aux hommes de ce parti qu’appartient le prochain avenir de l’Autriche, — les embarras financiers du gouvernement autant que les vues d’une saine politique contribueront à leur avènement et le rendront nécessaire, — à moins que cet empire ne soit condamné à subir de nouvelles révolutions et des bouleversemens plus funestes encore que ceux qu’il vient de traverser. Malgré les capacités incontestables qui se rencontrent dans le ministère actuel, celui-ci voit de jour en jour diminuer le nombre de ses adhérens, et les classes supérieures de la société se retirer devant lui, — symptôme alarmant partout, mais surtout dans un pays aussi aristocratique que l’Autriche.

Il est impossible, dans un pays éclairé et situé au milieu de l’Europe civilisée, de gouverner longtemps sans l’appui et le concours moral de la population, et de résister seul à l’esprit du siècle. Sans être des partisans aveugles du système représentatif, et surtout sans croire que les mêmes formes de gouvernement puissent convenir à tout le monde, nous sommes convaincu pourtant que les classes propriétaires et intelligentes ne sauraient être définitivement exclues de toute coopération aux affaires publiques. On essaiera en vain de donner de bonnes lois, des lois pratiques, de réglementer les transactions journalières de la vie civile et les intérêts spéciaux des différentes classes de la société, sans avoir préalablement entendu l’avis et le conseil des intéressés. On ne pourra exiger du pays des sacrifices extraordinaires, on ne pourra faire appel à son patriotisme, sans lui donner preuve de confiance et d’estime. Dans notre siècle, tout gouvernement qui veut se passer du concours du pays est non-seulement un gouvernement impopulaire, mais antipopulaire, et doit nécessairement être un gouvernement violent : or, sans parler