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à qui veut fonder un empire. Toute nouvelle création, toute mesure énergique répugnait à sa nature timide et routinière. Il aimait à gouverner en repos, sans bruit comme sans éclat, à éviter enfin tout ce qui sortait de l’ornière habituelle. Son successeur, l’empereur Ferdinand, suivit le même système, et de cette manière, de 1806 à 1848, pour nous servir des expressions d’un ancien ministre de ce dernier souverain, a on oublia de régner, on ne fit qu’administrer[1]. »

Les conséquences naturelles de cette politique imprévoyante ne tardèrent pas à se faire sentir. L’appui que les provinces austro-allemandes avaient précédemment trouvé dans leur connexion intime avec l’empire germanique et dans le prestige de ce nom disparut peu à peu, et l’importance des provinces hongroises augmenta en proportion. Ces dernières possédaient un régime constitutionnel qui resserrait le pouvoir royal dans de plus étroites limites que ne le fait la constitution anglaise. La constitution hongroise, qui date de huit siècles, donnait aux états du royaume[2] non-seulement le droit de préparer les lois et de voter les impôts, mais encore le pouvoir judiciaire et administratif presque absolu. Or la diète, jalouse de ses droits, travaillait constamment et avec un succès croissant à les étendre. Cependant, alors même que le constitutionnalisme se développait et prenait racine dans cette partie de l’empire, l’autre partie, les provinces ci-devant germaniques, voyait de jour en jour s’étendre et s’affermir l’omnipotence du gouvernement et le système bureaucratique. Les anciens états provinciaux, qui jusqu’alors avaient possédé de véritables droits constitutionnels, perdaient insensiblement de leur importance depuis que leurs rapports avec l’empire germanique, garanties morales et réelles de leurs libertés politiques, se trouvaient anéantis.

C’est ainsi que peu à peu un antagonisme funeste s’établit entre les deux grandes divisions de l’empire, antagonisme qui pénétrait jusque dans l’administration, partagée en deux grandes branches, et imposait au gouvernement un système de bascule qui affaiblissait son action, et devait tôt ou tard échouer. Les provinces hongroises, se servant avec énergie de leurs institutions libres, s’efforçaient d’acquérir une influence prédominante dans les conseils de l’empire ; mais elles oubliaient qu’elles étaient matériellement trop pauvres, trop arriérées pour prêter appui au gouvernement dans ses embarras financiers. En supposant que celui-ci eût voulu se les attacher par des concessions politiques, il n’y aurait pas

  1. Genesis der Œsterreichischen Revolution (Genèse de la Révolution d’Autriche), par le comte de Hartig ; Leipzig 1850.
  2. La diète était composée de deux chambres, l’une élective, l’autre héréditaire.